2019
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Revue d’histoire de l’Amérique française ; vol. 72 no. 3 (2019)
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Daniel Poitras, « Mettre en scène l’exclusion de l’histoire. Les femmes à l’université et le concours Miss Quartier latin (1950-1963) », Revue d’histoire de l’Amérique française, ID : 10.7202/1059980ar
De 1950 à 1963, un concours annuel particulier, le « Miss Quartier Latin », a eu lieu à l’Université de Montréal. L’objectif était d’élire l’étudiante idéale, celle qui allait représenter tout le campus et surtout, y répandre la bonne humeur. Je fais l’hypothèse que le concours, beaucoup plus qu’une activité frivole, mettait en fait en scène, à coup de représentations matérielles et de discours normatifs, l’exclusion des femmes de l’histoire. À l’Université, les étudiantes étaient maintenues dans un régime temporel différent, caractérisé par l’éternel féminin, ce qui autorisait leurs compagnons à les disqualifier comme agents historiques. Les étudiantes utilisèrent le concours pour répliquer, notamment en subvertissant les discours tenus sur elles. Elles ont ainsi réussi à créer des brèches dans les discours normatifs sur leur nature et à mettre en valeur les processus (ceux du développement personnel, ceux de l’histoire) qui ébranlaient le plafond de verre universitaire et ouvraient leur horizon d’attente. Mais ces efforts, s’ils ont éveillé des consciences, ébréché certains postulats sexistes et renversé momentanément les rôles, ont très peu retenus l’attention des historien.ne.s du mouvement étudiant, qui se sont pour la plupart concentré.e.s sur les leaders masculins et sur l’éthos volontariste et émancipateur qu’ils promouvaient. Ceci nous invite à réfléchir sur ces enchaînements qui ont fait des exclusions d’hier des angles morts aujourd’hui.