2022
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Relations industrielles / Industrial Relations ; vol. 77 no. 3 (2022)
Tous droits réservés © Département des relations industrielles de l’Université Laval, 2022
Suzy Canivenc, « Le no code et les effets organisationnels de la démocratisation logicielle : du mythe aux pratiques », Relations industrielles / Industrial Relations, ID : 10.7202/1094215ar
Cet article s’intéresse au mouvement no code, qui offre la promesse d’une démocratisation de la création logicielle et plus largement de la société. Nous tenterons ici d’aller au-delà de ce mythe technophile déterministe en adoptant une perspective co-évolutionniste permettant d’appréhender les relations récursives entre objets techniques et formes organisationnelles et de préciser les opportunités et contraintes dont sont porteuses ces technologies en matière de qualité du travail et de qualité de vie au travail. L’article s’appuie sur une étude de terrain exploratoire menée dans une entreprise de conseil spécialisée dans les transformations numériques qui témoigne d’importantes évolutions organisationnelles à la suite de l’intégration des outils no code : les métiers techniques et créatifs s’hybrident, favorisant les collaborations intra et intermétiers. Or, si ces effets organisationnels parviennent à s’actualiser au sein de cette entreprise, c’est aussi que cette dernière représente un terrain social propice où les silos organisationnels sont volontairement déstructurés, le management peu présent, et où l’organisation promeut l’autonomie des salariés. L’exemple de cette structure particulière révèle ainsi la profonde co-évolution des objets techniques et des formes organisationnelles, qui se façonnent mutuellement plus qu’elles ne se déterminent unilatéralement. Par ailleurs, ces effets organisationnels « positifs » s’accompagnent également d’autres effets non désirés et déstabilisateurs pour l’organisation et les acteurs en place. Le déploiement des plateformes no code peut tout d’abord se heurter à la réticence des développeurs qui perçoivent dans ces outils une menace quant au pouvoir dont ils jouissent traditionnellement dans la création de logiciels. La reconfiguration organisationnelle dont sont potentiellement porteurs ces outils perturbe ainsi les cultures métiers et les jeux d’acteurs en place, des turbulences qu’il ne faut pas sous-estimer lors de leur implantation.Les outils no code ne sont pas pour autant accessibles à tous : ils sont avant tout mobilisés par des « bidouilleurs » curieux, dotés d’une forte appétence pour le numérique et d’un minimum de compétences techniques, avec le risque de recréer une division entre concepteurs et simples utilisateurs. Qui plus est, la facilité apparente de leur usage fait courir le risque de sous-estimer la complexité des projets no code et d’ainsi générer des produits logiciels dysfonctionnels, mais également un sentiment d’abandon dans les équipes de travail. PrécisCet article s’intéresse au mouvement no code, qui connaît actuellement un fort engouement, et à ses impacts sur les activités professionnelles et l’organisation du travail. À contre-courant des approches déterministes postulant une relation unidirectionnelle entre objets techniques et formes organisationnelles, nous proposons d’adopter un cadre d’analyse co-évolutionniste où ces dimensions s’influencent réciproquement selon des boucles récursives continues. À partir d’une recherche exploratoire menée dans une entreprise de conseil en transformation numérique, nous tenterons d’exposer ce mouvement co-évolutionniste et, à travers lui, les opportunités et contraintes dont sont porteurs ces outils en milieu professionnel. Ces constats nous permettront de nuancer les discours utopistes qui accompagnent le développement de ces technologies, mais également d’apporter davantage de précisions au sujet des conditions à réunir pour assurer leur implantation durable.