2022
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Cahiers Société ; no. 4 (2022)
© Collectif Société, 2022
Stéphane Vibert, « Bruno Latour et la sociologie de l’acteur-réseau : enjeux épistémologiques et ontologiques d’une postmodernité radicale », Cahiers Société, ID : 10.7202/1098602ar
La « théorie de l’acteur-réseau » (ANT – Actor Network Theory, ou encore sociologie de la traduction) proposée par Bruno Latour depuis plus d’une trentaine d’années s’avère incontestablement l’une des théories les plus importantes dans les sciences sociales actuelles, portée par une notoriété toujours plus imposante tant dans le monde anglo-saxon que francophone. Sans doute parce que – ce sera là notre hypothèse – elle incarne essentiellement, en sa radicalité propre, l’ontologie postmoderne par excellence, si l’on prend l’expression en un sens purement descriptif, revendiqué par Latour lui-même. Initialement étiquetée comme « programme fort » en sociologie des sciences, accusée de défendre un constructivisme relativiste contre les prétentions de la Raison objective, l’approche latourienne a considérablement enrichi ses objets d’étude au fil des ans, s’intéressant successivement – outre une analyse constante des sciences et des techniques – à la religion, à l’anthropologie, au droit, à l’écologie, ou encore à la politique. La disparité des thèmes ne doit pas masquer une profonde cohérence ainsi qu’une véritable unité de perspective. Si sociologiquement elle peut être comprise comme une « inversion du durkheimisme », refusant à la fois l’existence même de la « société », la méthode objectiviste ou l’origine symbolique du social, elle repose ultimement sur une « ontologie plate », à la fois moniste, actantielle, relationnelle et processuelle, dont il nous faudra déployer les tenants et aboutissants pour mieux en saisir la nature complexe et le pouvoir de séduction. Ce texte entend présenter les grands principes épistémologiques de la sociologie latourienne, afin d’en indiquer les soubassements ontologiques, lesquels possèdent une puissance de vue incomparable, tout particulièrement adaptée au « monde en train de se faire ».