2015
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Stéphanie Clerc Conan, « Construire une éducation plurilingue et interculturelle avec les parents : enjeux et modalités », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.04wsyj
L'École, pourtant soucieuse que les familles suivent de près la scolarité des enfants, peine à construire un partenariat éducatif avec toutes les familles. Si certaines familles se montrent très présentes (trop parfois quand elles font acte de défiance envers des choix pédagogiques ou des contenus enseignés 1), d'autres restent en retrait de l'univers scolaire lorsqu'elles manquent de confiance en elles pour communiquer avec les enseignants et pour étayer ce que l'école transmet. C'est le cas des familles pour qui l'école a été synonyme d'échec. C'est aussi le cas pour celles (et ce sont parfois les mêmes) à qui il a été signifié que communiquer avec leurs enfants dans une langue autre que celle(s) enseignée(s) à l'école était peu propice à la réussite scolaire de leurs enfants. Nombreux en effet sont les enseignants, psychologues scolaires, orthophonistes, médecins scolaires et pédiatres 2 à conseiller encore aux parents de parler à la maison la langue de scolarisation (laquelle est en réalité non pas «la langue» dans toutes ses variétés mais une seule variante légitimée de cette langue). Les représentations selon lesquelles les langues familiales créeraient des difficultés, des incompréhensions, une surcharge cognitive, qu'elles seraient responsables de mélanges linguistiques vus comme des incompétences (quand en réalité ces mélanges sont l'ordinaire de la vie des langues dans les contextes plurilingues 3), qu'elles ralentiraient la maîtrise du code orthographique et des règles morphologiques et syntaxiques de la langue de scolarisation sont encore tenaces. Outre qu'il s'agit là d'un énorme contresens scientifique, pédagogique et psychologique, dire à un parent qu'il doit parler à son enfant dans une ou d'autres langue(s) que la (les) sienne(s) relève d'une ingérence dans la sphère privée et d'un non respect du droit fondamental à la liberté d'expression. (Blanchet, 2014). Comment en tant que parent contribuer au développement du langage et de la parole de son enfant quand on est incité à censurer ses modes d'expression personnels? Quel «je» intime peut se dire dans une langue qui n'est pas «soi»? Face à ce discours, comment se sentir légitime pour échanger avec les enseignants, pour suivre les tâches scolaires de son enfant et le (la) conseiller? On sait pourtant depuis longtemps: • que le bi/plurilinguisme se développe mieux quand toutes les langues de l'enfant sont valorisées et quand on l'aide à faire des liens entre les langues; • qu'il est important que les parents main-tiennent leur(s) langue(s) dans leurs échanges avec leurs enfants et que les enseignants valorisent ces langues familiales pour aider les enfants à établir des liens entre les différentes langues de leur environnement;