1999
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Laurent Touchart, « L’Angara », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.0af16d...
L’Angara a été à l’origine du peuplement et du développement de la Sibérie orientale. Mais la crise des années 1990 amène à repenser l’aménagement du territoire russe, de sorte que les régions traversées par l’Angara se différencient de plus en plus fortement. L’article est une synthèse bibliographique, augmentée de tableaux donnant des chiffres inédits issus d’un stage effectué par l’auteur à l’Institut de l’Energie de l’Académie des Sciences Russe d’Irkoutsk en 1996.La première partie insiste sur le fait que l’aménagement du territoire angarien avait été pensé comme un tout par les autorités soviétiques. Le harnachement de l’Angara par une succession de barrages s’appuyait sur d’importantes potentialités naturelles, mais les contraintes étaient très fortes, en particulier celles liées au pergélisol. L’Angara était une pièce majeure de l’avancée du front pionnier et de la politique soviétique de Complexe Territorial de Production. Les projets avaient été pensés dès les années 1920 à l’échelle de la Sibérie tout entière, mais ils réclamaient aussi un important développement local. C’est à partir des années 1950 que la mise en œuvre de ces projets devint effective. La deuxième partie présente l’Angara Supérieure. En amont du lac Baïkal, celle-ci est restée plus ou moins sauvage, malgré la construction du BAM dans les années 1970 et 1980. Le Complexe Territorial de Production du Baïkal Septentrional n’a pas encore conduit à la mise en valeur de la région.La troisième partie étudie l’Angara moyenne, une Angara construite, transformée en une succession de trois lacs de barrage : Irkoutsk, Bratsk et Oust-Ilimsk. (i) Il est d’abord souligné combien la construction des barrages a formé une chaîne, tant énergétique qu’industrielle et urbaine. Les travaux de Bratsk ont commencé avec des générateurs diesel alors que le barrage d’Irkoutsk n’était pas terminé, mais c’est l’achèvement de celui-ci qui a permis, par l’acheminement de la nouvelle énergie produite, de finir celui-là. Le même enchaînement s’est reproduit entre Bratsk et Oust-Ilimsk. La main d’œuvre, après la période de pointe, passait au barrage suivant, laissant au précédent une équipe moins nombreuse, terminant l’ouvrage engagé. En outre, l’invention de grilles chauffantes de protection des turbines et l’expérience de construction en pergélisol, acquises à Irkoutsk, autorisèrent un gain de temps pour Bratsk. Et l’expérience des coupes forestières, de la démoustication et de l’urbanisme ex-nihilo de Bratsk permit d’améliorer l’efficacité des travaux à Oust-Ilimsk. (ii) Dans un second temps, le point est fait sur la révision des priorités en cours, en particulier la nouvelle prise en compte des questions écologiques. Il en résulte l’abaissement de niveau du barrage d’Irkoutsk et son obligation de tenir les niveaux stables durant les périodes de frai. Enfin, la région produit tellement d’électricité qu’elle ne peut être toute utilisée sur place, malgré la forte consommation des raffineries d’aluminium, si bien qu’une partie est exportée.La quatrième partie présente l’Angara inférieure (dite aussi Toungouska supérieure dans l’ancienne toponymie), une Angara en construction ou, plutôt, en projet de construction revu à la baisse d’année en année. Achevé, mais non fonctionnel, depuis plus de dix ans, le barrage de Bogoutchany se trouve au cœur des controverses environnementales et socio-ethnologiques. La situation d’attente de Bogoutchany, et, en aval de celui-ci, l’arrêt de la construction des barrages de Kossaïa Chivera et de celui de Mourojny Byk, s’ils sont regardés par les groupes de pression écologistes comme une bonne nouvelle, n’en posent pas moins de graves problèmes. Les gens, souvent âgés, qui sont restés manifestent et en arrivent à des situations de bataille désespérées contre les hydrauliciens logés dans la ville-nouvelle de Kodinsk. Mais ceux, souvent plus jeunes, qui sont partis se sentent lésés eux aussi, car ils ont abandonné la maison de leurs ancêtres et ont perdu leur terrain constitué de bons sols alluviaux, avec le sentiment, dix ans après, de l’avoir fait pour rien.