12 décembre 2024
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Clovis Douanla Tankeu, « Les incidences de l'évolution des droits séculiers sur la notion de bonnes mœurs en droit canonique », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.0d4abc...
La notion de bonnes mœurs, telle qu'elle fut reçue dans la tradition canonique, est-elle appelée à disparaître en droit canonique positif sous l'influence des évolutions récentes intervenues dans les droits séculiers de nombreux pays au cours de ces dernières décennies ? Telle est la question qui traverse l'ensemble des pages de cette recherche doctorale.Au cours de la décennie 1990, l'introduction de la notion d'autonomie personnelle dans les droits séculiers ouvrit la voie à de nombreuses évolutions en matière de libertés individuelles. On assista ainsi à la montée en puissance des droits subjectifs, notamment dans le domaine de la vie privée et familiale. Outre la multiplication des remariages après divorce, d'autres formes de conjugalités obtinrent leur reconnaissance juridique, mettant sérieusement à mal le modèle de l'institution matrimoniale traditionnelle protégée par le droit canonique.Dans ce contexte sociojuridique marqué par une grande mutation des structures familiales, l'Église catholique fut confrontée à des situations pastorales complexes et inédites, nécessitant de nouvelles réponses canoniques appropriées, c'est-à-dire des solutions qui prennent en compte les réalités sociologiques actuelles sans perdre de vue l'exigence de leur conformité aux principes moraux de droit divin. Jusqu'en 2016, l'Église réaffirma constamment l'impossibilité de faire évoluer la législation canonique pour répondre aux demandes tendant à relativiser l'enseignement de la morale chrétienne, fondée sur la Révélation divine.Mais, l'exhortation apostolique Amoris laetitia, publiée le 19 mars 2016 à la suite de deux synodes des évêques tenus en 2014 et 2015 sur le thème des défis pastoraux de la famille, opéra un véritable changement de paradigme dans l'attitude de l'Église en consacrant la catégorie du discernement personnel et pastoral. Il s'agit en réalité de la prise en compte du jugement la conscience éclairée du sujet de droit dans l'évaluation canonique de certaines situations personnelles de vie qui sont en contradiction objective avec les préceptes de la morale chrétienne.Aussi, est-on en droit de se demander si avec la consécration de cette nouvelle figure juridique, le droit canonique est encore fondé de sanctionner les comportements qui violent objectivement certaines normes de la morale chrétienne. La réponse doit être affirmative dans la mesure où le législateur canonique n'a pas abrogé les dispositions du Code en vigueur ayant vocation à protéger la conception théologique des boni mores, mais s'est contenté de créer un nouvel instrument d'assouplissement de leur application à certains fidèles qui se trouvent dans une situation conjugale complexe et à des conditions précises.Si cette catégorie juridique, encore émergente en droit canonique, permet désormais d'envisager des solutions adéquates, différenciées et équitables à la difficile question de l'intégration dans l'Église des personnes dont la situation de vie conjugale contredit objectivement les préceptes de la morale chrétienne, il faut néanmoins reconnaître que sa mise en œuvre a sans doute sonné le début d'une décadence progressive et irréversible de la notion traditionnelle de boni mores en droit canonique. En définitive, on pourrait se demander si la catégorie du discernement personnel et pastoral n'est pas in fine en droit canonique, la facette modérée de la notion d'autonomie personnelle dans les droits séculiers.