2014
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Ronan Richard, « « D'où venez-vous braves gens ? » Les civils de l'Aisne réfugiés dans l'Ouest de la France (1914-1918) », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.0f5649...
Traiter du sort des civils dans les 10 départements français du Nord et de l'Est les plus touchés par les combats de la première guerre ne peut se faire sans intégrer celles et ceux qui, par centaine de milliers, choisirent l'exil ou y furent contraints. Les occulter, comme l'historiographie l'a longtemps fait, consisterait à faire l'impasse sur le parcours et l'expérience de plus de 20 % d'entre eux. Parmi ces départements, celui de l'Aisne constitue un des exemples les plus pertinents puisqu'avec 163 000 réfugiés, c'est plus de 30 % de sa population qui vécut cet exode vers une destination inconnue. Seule, la Somme dépassa cette proportion durant la guerre. Sur ce total, près de 11 500 débarquèrent dans une gare de ce grand Ouest de la France qui, de la Vendée à la Manche en passant par la Bretagne historique, constituera ici notre champ d'étude 1. Faire leur histoire, c'est comprendre, d'une part, les raisons d'un départ qui, choisi ou subi, les amènera, au terme de douloureuses pérégrinations, vers leur département d'accueil. C'est étudier, ensuite, les conditions de cet accueil, rendu difficile par l'imprévoyance totale d'un État qui avait ignoré cette question avant guerre avant d'en déléguer la gestion concrète à des autorités de terrain totalement désarmées. C'est expliquer, enfin, les difficultés d'intégration qu'ils rencontrèrent et en comprendre les raisons, multiples et complexes. La confrontation entre ces déracinés et leurs hôtes nous conduira à nous interroger sur une solidarité nationale qui, dans un champ d'étude d'une grande variété sociale, économique et culturelle, offrit un visage aussi évolutif que contrasté. Partir « Que faire ? Les autorités ne nous envoient aucun ordre ni aucun conseil. Dois-je laisser la population de mon village exposée à un bombardement, ou dois-je la faire évacuer 2 ? » On devine, sous les propos d'Albert de Berthier de Sauvigny, maire de Coeuvres, toute l'indécision qui domina durant les jours précédent l'invasion. « Faut-il partir ? » Cette question fut parfois tranchée par un ordre d'évacuation émanant de l'autorité militaire, pas toujours facile à faire appliquer compte-tenu des réticences d'une frange de la population qui s'accrochait à son village jusqu'à pousser les autorités à user de méthodes coercitives. A Coeuvres, comme dans bien d'autres localités, le Maire et ses administrés durent faire face seuls à ce questionnement dans un contexte de peur nourri des rumeurs les plus angoissantes. Démuni de toute instruction officielle, l'édile local en fut réduit à consulter, en vain, les officiers anglais cantonnés dans son secteur. Son récit reflète parfaitement les tergiversations et la fébrilité de ces civils, laissés à eux-mêmes, et qui durent seuls choisir de partir ou de rester 3. La peur, alimentée par les échos de la bataille toute proche, pesa sur cette décision à partir des 24 et 25 août 1914. Les nouvelles successives de 1 Nos travaux croisés sur les populations déplacées (réfugiés, prisonniers et internés civils) nous ont contraints à envisager notre champ d'étude en respectant les Régions militaires. Nous avons donc travaillé sur deux d'entre elles, les Xè et XIè Régions, intégrant 7 départements.