30 septembre 2021
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Pierre Belenfant, « Le pouvoir du nom dans les Hymnes de Callimaque », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.0n8f98
Le Cratyle de Platon est réputé traiter de l'étymologie, mais le terme que Socrate et ses interlocuteurs utilisent est celui de δύναμις ὀνομάτων, que l'on pourrait traduire par « pouvoir des mots » aussi bien que par « valeur des mots ». De fait, ce que le dialogue met en évidence est bien la capacité que les mots seuls ont de suggérer un discours sur les réalités qu'ils désignent. Une fois reconnue, cette puissance s'avère cependant très vite mère d'illusion : la connaissance des choses ne peut se fonder, en toute rigueur, sur l'étude des mots, et la démarche des poètes, qui prétendent atteindre la vérité par ce moyen, manque de sérieux. La conclusion du Cratyle est donc ambivalente : faire parler les mots ne permet pas d'atteindre la vérité, mais la δύναμις ὀνομάτων existe et contribue à véhiculer des opinions. Les jeux verbaux des poètes, aussi futiles qu'ils soient, peuvent même servir d'instrument à une idéologie. Je souhaiterais, pour ma part, montrer combien la pensée développée dans le Cratyle à propos du pouvoir persuasif des mots sous-tend la poétique de Callimaque de Cyrène, le célèbre poète et philologue alexandrin du IIIe siècle av. J.-C. Je me concentrerai, pour ce faire,sur son recueil d'hymnes, la seule de ses œuvres à nous être parvenue dans sa quasi-intégralité. Ces dernières années, de nombreuses études ont souligné la dimension politique des Hymnes de Callimaque, composées pour servir la gloire de la dynastie lagide. En dépit de leur fonction idéologique, ces poèmes sont toutefois marqués par l'attitude réflexive et distancée d'un auteur qui revendique, à maintes reprises, le caractère ludique et enfantin de son art, où les jeux de langage et l'humour verbal occupent une place centrale. La démarche de Callimaque accuse de ce fait une certaine proximité avec l'attitude de Platon envers le signifiant : tout en refusant de prendre au sérieux les jeux étymologiques des poètes, et bien qu'ayant mis en évidence leur caractère régressif, le philosophe n'hésite pas, en effet à jouer lui aussi avec les mots, lorsqu'il s'agit non de penser, mais d'établir dans l'âme et dans la cité des opinions droites. Entre l'auteur des Hymnes et celui du Cratyle une parenté se dessine, que cette thèse se propose de préciser et d'approfondir. Une étude due à Benjamin Acosta-Hughes et Susan A. Stephens, et publiée en 2012 sous le titre Callimachus in context, s'était donnée pour but de reconstituer le contexte intellectuel et politique dans lequel Callimaque avait produit son œuvre. Les deux auteurs y soulignaient en particulier l'influence exercée par la pensée platonicienne sur le poète. Ma thèse voudrait s'inscrire dans le prolongement de ce travail, où je tente d'aborder les Hymnes de Callimaque dans la perspective définie par les deux philologues américains.