2025
http://hal.archives-ouvertes.fr/licences/publicDomain/ , info:eu-repo/semantics/OpenAccess
Sylvaine Bulle, « Des visions contrastées de l’effondrement. Le cas d’une zone à défendre », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.19bb18...
L’article porte sur les grammaires temporelles et écologiques de la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes (Bretagne, France), une lutte environnementale emblématique concernant un projet d’autonomie politique. Cette ZAD est née d’un processus de résistance à la création d’un aéroport. D’abord animée par des élus locaux et une association de riverains, elle fut ensuite rejointe, en 2010, par de nouveaux occupants issus pour la plupart des mouvances autonomes anarchistes. L’occupation s’est étendue de 2012 à 2018. Elle incluait une soixantaine de « bases de vie », c’est-à-dire des résidences collectives installées dans un milieu fragile, à préserver. La résistance et l’autodéfense continues ont amené les pouvoirs publics à abandonner le projet d’aéroport en 2018. L’étude menée ici ne concerne pas l’histoire de cette lutte, ni l’organisation sociale de la ZAD, mais un questionnement sur les différentes représentations temporelles et écologiques qui sont à l’œuvre dans cette quête d’émancipation. La ZAD traduit en effet, à travers une série de valeurs et d’émotions, une préoccupation sur les fins et sur la survie du monde qui croise la critique du capitalisme, des institutions et, plus généralement, la critique sociale. L’analyse s’appuie sur une hypothèse théorique concernant les grammaires temporelles qui sous-tendent ce type d’expérience autonome. La particularité de cette expérimentation est d’évacuer l’imaginaire utopique et les grands récits révolutionnaires pour s’ancrer dans l’« ici et maintenant » et, simultanément, de valoriser le temps présent, conçu comme un temps fini, celui de l’effondrement, où peuvent naître des subjectivités radicales. Notre hypothèse est ici nourrie par le concept d’exode que l’on trouve en philosophie politique dans les travaux du philosophe Giorgio Agamben. Elle s’articule avec une observation sociologique montrant qu’au-delà de points d’appui communs, une grande disparité caractérise les pratiques des acteurs. Si les autonomes anarchistes sont liés par la tentative de mettre en place des espaces-temps auto-institués, séparés de l’extérieur, et par une quête commune d’émancipation, la ZAD apparaît comme une communauté aux valeurs contrastées, autant dans les rapports au temps, à l’habitabilité qu’à l’économie. Cela ressort de la seconde partie de notre analyse, qui concerne la partie Est de la ZAD, où le rapport à l’environnement est le plus intégral. Dans un troisième temps, ce sont ceux qu’entretiennent les collectifs (ou les individus) avec les activités productives qui seront examinés, à la lumière de leurs conceptions temporelles visant un exode plus ou moins symbolique. Au finale, il apparaît que l’effondrement, en tant que préoccupation des fins, donne lieu à des engagements écologiques divers, allant de l’autonomie à l’écologie intégrale confinant à l’ascèse. La crise climatique détient donc un potentiel émancipateur, individuel et collectif, qui transforme l’écologie elle-même.