4 octobre 2016
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Etienne Schmitt, « Rendre une voix aux nations aphones. Un modèle de coopération plurinationale. », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.1bq6mh
Depuis que la diversité nationale est devenue un objet de recherche, la Catalogne, l’Écosse et le Québec sont étudiés avec minutie. En considérant les demandes de reconnaissance émises par ces « nations sans État », la théorie politique a développé des modèles pluralistes dont le multiculturalisme, le multinationalisme et le plurinationalisme, qui visent à accommoder les demandes des nations minoritaires. Néanmoins, certains groupes aux caractéristiques similaires, mais aux singularités qui les écartent des catégories habituelles, sont omis par ces mêmes modèles. C’est le cas de l’Alsace, région périphérique française au fort particularisme nationalitaire ; ou des Roms, trop souvent cantonnés au nomadisme et dont les revendications politiques ne sont que rarement prises en compte. L’Alsace et les Roms n’apparaissent jamais ou bien trop peu dans la littérature sur la diversité, alors que leurs revendications interrogent directement le pluralisme et remettent en question les accommodements trouvés pour d’autres groupes nationaux. Sur ce paradoxe, cette thèse cherche à comprendre les raisons de cette omission et à les corriger. L’omission de groupes comme l’Alsace ou comme les Roms par les modèles pluralistes incombe à des erreurs épistémiques. Par l’observation inexacte de la réalité sociale et une normativité excessive, ces modèles reproduisent indûment l’hégémonie statonationale dans leurs catégories analytiques. Cette hégémonie n’encourage pas la diffusion de revendications de la part de populations marginalisées qui n’ont pas suffisamment de ressources matérielles, culturelles, sociales et symboliques pour se faire entendre. Ces nations en deviennent alors « aphones », non par une absence de demandes, mais bien car leurs voix ne sont guère plus audibles. C’est pourquoi j’ai procédé à une restitution de la littérature sur la diversité nationale et je l’ai mise en dialogue avec la réalité sociale. Par cela, je contribue à complexifier la diversité en y introduisant la théorie sociale et, plus spécifiquement, une phénoménologie sociologique qui interroge les imaginaires collectifs modelés par des processus de légitimation de l’hégémonie statonationale. Afin de dépasser l’hégémonie statonationale, je propose un modèle de coopération plurinationale. Il se base principalement sur le contexte de l’Alsace où une coopération transfrontalière avec les autorités locales allemandes et suisses permet aux élites politiques alsaciennes d’obtenir de nouvelles ressources et d’acquérir une légitimité accrue. Bien que cette coopération laisse entrevoir la formation d’un ethos, favorisant l’émergence d’une plurination où s’entremêlent les identités nationales (allemande, française et suisse), locales (alsacienne, badoise, bâloise, jurassienne et palatine) et transnationales (européenne et rhénane), l’hégémonie statonationale perdure. C’est pourquoi, le modèle de coopération plurinationale propose de créer un contexte post-hégémonique en encourageant le caractère multiniveau et multisectoriel de la coopération, conduisant à une autonomisation subséquente des nations qui y participent. Si le modèle de coopération plurinationale repose sur une optique contractualiste, il conçoit un contrat de fédération toutefois modulé à l’aide des motivations sociales de la coopération. Cherchant à redonner une voix à ces nations aphones, j’ai ainsi mis l’accent sur une approche ascendante qui faisait défaut à la littérature sur la diversité nationale et sur les rapports de force souvent occultés par celle-ci. Cette thèse est donc à la fois une analyse des modèles pluralistes, une tentative de correction de leurs lacunes, mais aussi un cheminement méthodologique pour jeter un pont entre théorie politique et sociologie politique à l’aide de la coopération.