5 mai 2020
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Marie Bouchet, « The SKIN Project by Shelley Jackson. The Tattooed Text as a Mortal Work of Art. », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.1epsma
En 2003, Shelley Jackson lança en ligne un appel à volontaires destiné à trouver des personnes acceptant de faire tatouer sur leur peau l’un des 2 095 mots de sa nouvelle « Skin » — une tentative de publier le texte sur un support qui reflète son contenu. Une fois le tatouage fait (et prouvé par l’envoi d’une photo), l’auteure adressait à chaque participant (qu’elle appelle « ses mots ») le texte complet de la nouvelle, qui devait rester secret. Jackson reçut plus de 22 000 courriels pour ce projet, et envoya leur mot à tatouer à 1 875 personnes sélectionnées. Au final le projet SKIN ne put être achevé, car l’un de « ses » mots décéda avant que la nouvelle ne fut complètement imprimée/tatouée. Cet article explore la relation complexe entre éternité et finitude que tisse un tel projet. En effet, d’un côté la littérature est perçue comme un art éternel (selon le topos de l’auteur vivant éternellement à travers ses livres), et le tatouage est également considéré comme un marquage permanent, un geste d’encrage comparable à celui de l’impression de textes. Le projet SKIN prend toutefois le contrepied de cet aspect, car dès le départ Shelley Jackson avait conscience que cette expérimentation avec les techniques d’impression produirait « une œuvre d’art mortelle » (Jackson, 2002). Le projet SKIN souligne donc le caractère éphémère du tatouage, en une sorte de memento mori. Cet article analyse également les traces que le tatouage littéraire original a laissées, à savoir, d’une part, le site internet où Jackson lança son appel, présenta le projet et produisit une carte localisant les mots de sa nouvelle. La deuxième trace du projet initial est un sous-texte de la nouvelle originelle, texte non imprimé sur le papier mais présenté sous forme d’une vidéo montée par Jackson en 2011 à partir des 200 vidéos YouTube, réalisées par certains « mots », dans lesquelles les participants se filment en train de montrer et prononcer à haute voix leur mot tatoué. Cette autre nouvelle, dermographiquement dérivée de la première, combine donc littérature, tatouage, art conceptuel, image et son.