Framing of immigration on Twitter Les cadrages de l'immigration sur Twitter En Fr

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26 mai 2022

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Marie Tomaszewski, « Les cadrages de l'immigration sur Twitter », HAL-SHS : sciences de l'information, de la communication et des bibliothèques, ID : 10670/1.1yk8ue


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Résumé Fr

Objectifs de recherche et hypothèsesCette contribution portait sur les cadrages et contre-cadrages de l'immigration sur Twitter, et ce qu'ils révèlent des représentations sociales de l'immigration des usagers et des conflits d'interprétation autour de cet objet. Ma recherche soulève en creux la question du "one world, one network ?", puisqu'elle interroge l'impact du dispositif Twitter sur la circulation des discours, et la possibilité d'une confrontation de l'usager à des discours porteurs de représentations divergentes des siennes. A la suite d'autres travaux, on peut en effet postuler l'existence de « bulles de filtre » (Pariser) sur la plateforme, qui enfermeraient les usagers dans un entre soi. Twitter serait une echo chamber, renforçant ou amplifiant des croyances préexistantes, en exposant l'usager aux mêmes représentations. Le réseau social favoriserait d'autant plus les biais cognitifs qu'il reste opaque sur sa curation et peut donner le sentiment à l'usager que son interface personnelle est représentative de l'opinion publique, alors qu'elle ne constitue qu'un fragment de l'étendue des points de vue exprimés sur Twitter, qui n'est lui-même pas représentatif de l'opinion publique française. J'émets l'hypothèse que le dispositif encourage la formation ou le renforcement de deux « communautés idéologiques » (Van Dijk, 2006), se positionnant ou constituées autour de l'objet immigration. Celles-ci entreraient peu en interaction mais leurs discours et arguments se répondraient par dialogisme. A l'inverse de "publics ad hoc", "post hoc", "praeter hoc" (Bruns, Burgess, 2011), se formant respectivement en réaction, suite à ou par anticipation d'un événement de l'actualité, je fais l'hypothèse qu'il existe sur Twitter des communautés idéologiques relativement stables, entretenant une réalité offline et abordant parfois l'immigration indépendamment de l'actualité. J'avance la sous-hypothèse que ces communautés idéologiques constituent leur « ethos collectif » (Orkibi, 2008) en opposition et qu'elles sont chacune composées de différents groupes ou courants idéologiques réunis par une certaine image de la francité, de l'Histoire etc. Je suppose aussi que l'algorithme et les fonctionnalités de Twitter, comme le #, favorisent le regroupement d'usagers sans lien offline ("calculated publics"), mais partageant les mêmes croyances. Cadre théoriqueJ'emprunte la notion de « cadre » à la théorie du cadrage qui se déploie dans le champ des media studies et des recherches en communication politique, où son usage se popularise dès la première moitié des années 90 aux Etats-Unis (Weaver, 2007). La notion est inspirée du travail d'Erving Goffman, qui a transposé ce concept issu du domaine des sciences cognitives (Bartlett, 1932) et de l'anthropologie (Bateson, 1972) à la sociologie. L'auteur des Cadres de l'expérience définit le cadre comme « ce qui aide les gens à organiser ce qu'ils voient dans leur vie de tous les jours », à répondre à la question « que se passe t-il ? » (Goffman, 1974). Il s'applique à « isoler certains cadres de base de la connaissance, disponibles dans notre société, pour donner du sens aux événements » (Gamson, 1988). S'inscrivant dans sa filiation, la théorie du cadrage s'interroge, non plus sur la manière dont les événements sont interprétés, mais dont certains de leurs aspects sont sélectionnés et rendus saillants dans le message (Entman, 1993). Cette théorie offre l'avantage d'être spécifiquement pensée pour l'analyse des textes communicationnels ou médiatiques, comprenant mon objet d'étude les tweets, et fournit des pistes méthodologiques pour la recherche empirique des cadres. Néanmoins, le flou caractérisant la notion, qui comporte différentes acceptions et applications empiriques, rend nécessaire la spécification d'une définition et d'une typologie de cadres. J'ai adopté la définition d'Entman, la plus communément partagée par les tenants de la théorie du cadrage (Lemarier-Saulnier, 2016), selon laquelle « cadrer consiste à sélectionner certains aspects d'une réalité perçue et à les rendre plus saillants dans un texte communicationnel de manière à promouvoir une définition particulière du problème, une interprétation causale, une évaluation morale, et/ou la préconisation d'une action ("treatment recommendation") pour l'objet décrit » (Entman, 1993). Cette conceptualisation rend opérationnalisable l'analyse des cadrages, repérables à l'accentuation de certains thèmes et à des choix linguistiques, comme la dénomination « clandestin » ou « migrant économique » préférée à « réfugié » ou « migrant », dénotant une certaine définition du problème (l'illégalité des migrants, leur coût économique etc.). Mon travail s'inscrit dans une approche résolument interdisciplinaire, mobilisant les Sciences de l'Information et de la Communication (SIC), l'analyse du discours, la linguistique, la sémiologie et la psycho-sociologie, puisque le sujet implique de comprendre comment se forment les représentations sociales. Le contenu des représentations médiatiques et politiques de l'immigration a déjà été amplement documenté, d'où le choix de privilégier l'analyse des cadrages des discours sur l'immigration. L'originalité de ma recherche réside aussi dans l'extension des objets traditionnellement pris en charge par la théorie du cadrage (les discours médiatiques et politiques) aux discours des « citoyens ordinaires », constituant la majorité des usagers de Twitter. Cet élargissement de l'analyse vise à accéder aux représentations dominantes de l'immigration sur Twitter, et à examiner l'hypothèse d'une reprise des cadrages des acteurs politiques et médiatiques par ces « citoyens ordinaires ». MéthodologieA l'aide de la méthode de l'analyse du discours et de la sémiologie, et sur la base de l’analyse qualitative d'un corpus de deux cent tweets sur l'immigration, j'étudie les profils des usagers (leur description, pseudonyme, photos de profil et de couverture) et les contenus multimédia des tweets sur l'immigration pour faire l'épreuve de l'hypothèse de l'existence de deux communautés idéologiques. L'objectif est d'examiner la présence de similitudes dans les présentations de soi des usagers, à la fois concernant leurs centres d'intérêt, opinions, religion, bord politique et caractéristiques sociologiques autodéclarés, et leur usage du technodiscours et des symboles. Je prête aussi attention aux formations discursives sur l'immigration dans les tweets, et aux marques de dialogisme, aux procédés de catégorisation Nous-Eux, à la mention d'opposants ou d'un « camp » adverse, qui confirmeraient l'hypothèse de deux communautés idéologiques se construisant en opposition. Je m'intéresse tout particulièrement au rôle joué par le # dans la formation de ces communautés, l'élaboration d'un ethos collectif, et le cadrage de l'immigration.Le choix de la méthode de l'analyse du discours, et l'étude des interactions et du dialogisme qu'implique mon objet d'étude, motivent l'inscription de mon travail dans la LSI Division.J'ai pris le parti de coupler cette méthode à celle des entretiens afin de mieux connaître les pratiques des tweetos et leur usage des réseaux sociaux de manière générale (endossent-ils le rôle de « journalistes citoyens », de commentateurs, de "lurkers", de "leaders" de la communauté (Bruns, Burgess, 2011) ? Sont-ils présents sur d'autres réseaux sociaux ? Ont-ils des « pratiques transplateformes » (Millette, 2011) ?), leur usage des fonctionnalités du dispositif (recourent-ils à certains # spécifiques, à la fonction @ ? Intègrent-ils des liens hypertextes, du contenu multimedia dans leurs tweets ? Participent-ils parfois volontairement à la constitution d'un sujet en tendances ?), leurs pratiques informationnelles (quelles sont leurs sources d'information ? S'informent-ils directement sur Twitter, sur d'autres médias ?), leurs motivations à (re)tweeter du contenu sur l'immigration, la genèse de leur intérêt pour le sujet, le public qu'ils ciblent, leurs représentations de l'immigration, de la francité et du contexte social, les liens existant entre leurs activités online et offline (les usagers entretiennent-ils des relations offline ? Militent-ils au sein d'organisations, ou sont-ils membres d'associations d'aide aux migrants ?), et leurs profils sociologiques (leur bord politique, âge, sexe, profession, classe sociale autodéclarés). Pour la collecte du corpus, j'ai eu recours à Tweet Archiver, une extension de Google Sheets permettant d'extraire automatiquement et à fréquence régulière des tweets selon des critères de recherche personnalisés. Les données, comprenant l'URL du tweet, son contenu (dont les liens hypertextes), et le profil de l'usager, sont archivées sur une feuille de calcul, ce qui permet de pallier un autre obstacle engendré par le dispositif : la modération et la disparition incidente de données entre le moment de la collecte et de l'analyse. La fonction d'archivage de Tweet Archiver, outre qu'elle dispense de réaliser des captures d'écran et représente un gain de temps considérable, constitue une source d'information non négligeable. Elle donne accès aux contenus modérés, et donc supposément aux représentations les plus péjoratives de l'immigration. Attentive à recueillir dans mon corpus des discours sur l'immigration de tonalités variées, j'ai répertorié un maximum de mots pouvant se référer à l'immigration et aux migrants : « chance pour la France », « clandestin », « migrant », « étranger », « réfugié », « demandeur d'asile », « mineur isolé », « exilé », « immigré », « émigré », « immigration », « émigration », « migratoire », « illégaux », « transmigrant », « allochtone », « allogène », « sans papier »/ « sans-papier », « remigration », « rémigration », « dubliné », « migration », « en situation irrégulière » et leurs variantes plurielles, que j'ai utilisés comme mots clés de la recherche. J'ai pris le parti de composer le corpus indépendamment d'un événement de l'actualité pour obtenir un panel davantage représentatif des cadrages de l'immigration circulant ordinairement sur Twitter, et faire l'épreuve de l'hypothèse d'un « discours ambiant » sur l'immigration, entretenu à la fois par une « communauté d'interprétation » la constituant en problème public de premier ordre, une communauté professionnelle (les avocats) échangeant des informations entre pairs et une communauté associative défendant les droits des migrants au quotidien. En optant pour la version payante de l'extension, j'ai pu rechercher un nombre illimité de mots clés et récolter leurs occurrences simultanément, sur une même période temporelle, rendant comparables les données. La collecte s'est déroulée du 27/02/21 au 02/03/21 afin d'amasser un nombre de tweets supérieur au besoin de l'analyse et d'anticiper le tri du corpus, comportant de nombreux homographes éloignés du sujet. Concernant l'analyse, j'ai pris le parti de ne pas recourir aux logiciels de traitement de données, de privilégier l'analyse qualitative, et de recourir à une grille d'analyse et à une typologie de cadres spécifiquement pensées pour mon objet d'étude. Cette grille comprend la catégorisation des twittos en dix groupes, qui vise à recouvrir l'ensemble des catégories d'usagers tweetant sur l'immigration : les associations d'aide aux migrants, les professionnels du monde politique ou partis politiques, les militants, collectifs militants, ou syndicats étudiants, les « polémistes » (dont l'appellation est en cours de réflexion), les « médias de réinformation », les médias « hégémoniques », les avocats spécialisés dans les droits des migrants, les collectifs de migrants, les chercheurs et les citoyens « ordinaires ». Cette catégorisation, élaborée grâce à l'enquête préliminaire menée sur deux-cent tweets, repose sur l'autoprésentation des usagers dans leur profil. Elle vise à mettre à jour les stratégies communicationnelles et les cadrages de l'immigration propres à ces différents groupes d'acteurs, ainsi que la circulation de ces cadrages d'un groupe à l'autre. En complément de l'analyse du discours, j'espère obtenir des entretiens avec des membres de ces différentes communautés d'intérêts, notamment celles dont l'usage de Twitter est peu documenté, comme les ONG et les avocats spécialistes des droits des migrants. Premiers résultats et perspectivesJ'ai d'ores et déjà mené deux entretiens avec des membres du RN, de Génération Nation et du syndicat national étudiant de droite La Cocarde, ainsi qu'une membre du groupe « féministe identitaire » Nemesis, une bénévole de l'association SOS Méditerranée, le responsable de la communication de la Cimade, la propriétaire des comptes Twitter @MigrantsInfo, @MigrantsDiscussions et @MigrantsSolidarity, le collectif citoyen Sleeping Giants, luttant sur les réseaux sociaux contre le financement de la haine en ligne. J'ai également amorcé l'analyse de mon corpus de tweets, dont j'ai présenté les résultats à la conférence de l'ICA. Je constate à ce stade une majorité de tweets sur l'immigration de tonalité négative et des similitudes dans les profils des usagers : la revendication d'une opposition au vaccin ou au pass sanitaire, l'expression d'un soutien à Eric Zemmour, Marine Le Pen, au Rassemblement National ou à d'autres hommes politiques de droite, la défense des forces de l'ordre ou de l'armée, la mention d'une appartenance à la religion catholique ou juive, une critique de l'Islam, des Musulmans ou de « l'islamogauchisme », la démonstration d'un intérêt pour l'Histoire, d'un attachement au passé ou aux traditions avec de nombreuses références à des figures ou des événements historiques. Peu d'usagers mentionnent l'immigration dans leur profil, mais beaucoup construisent leur ethos en arborant des symboles nationalistes, un discours patriotique, conservateur, antigauchiste et islamophobe, qui performent les catégories Nous/Eux. La présentation des usagers dont les tweets sont de tonalité positive vis-à-vis de l'immigration se démarque notoirement de celle des opposants à l'immigration, avec des symboles et valeurs affichés diamétralement opposés. Leurs profils témoignent de valeurs progressistes en démontrant une sensibilité aux questions de genre (avec la stipulation de pronoms) et en revendiquant leur soutien ou appartenance aux minorités (avec le recours à l'écriture inclusive, la défense du féminisme, du mouvement Black Lives Matter, des droits de la communauté LGBTQIA+). L'orientation politique des usagers dont les tweets sont de tonalité positive vis-à-vis de l'immigration diffère également de celle des anti-immigration, avec un soutien prépondérant affiché à Jean Luc Mélenchon ou à son parti La France Insoumise, situé à l'extrême-gauche de l'échiquier politique. L'hypothèse de l'existence d'une communauté idéologique conservatrice, nationaliste, patriote, critiquant l'immigration, regroupant divers courants de droite et de « droite extrême », et se construisant en opposition à une communauté aux valeurs progressistes désignée en adversaire, est corroborée par cette amorce d'analyse. L'analyse exhaustive du corpus me permettra de la confirmer. Alors que la plateforme est souvent épinglée pour son manque de modération, ce début d'analyse témoigne de la suppression de nombreux comptes entre le moment de la collecte et de l'analyse, qui peut être révélatrice d'un accroissement de sa modération dû aux pressions (supra)gouvernementales. J'examinerai s'il existe des similitudes entre ces comptes suspendus pouvant expliquer leur retrait, et si leurs (re)tweets sur l'immigration relèvent du discours de haine ou sont caractérisés par une intensité affective forte. Enfin, il transparaît de l'analyse que l'immigration n'est pas toujours le sujet central du tweet mais qu'elle sert de prétexte à la critique d'un politicien. Le traitement des migrants, les lois et les débats sur l'immigration sont constitués en arguments appuyant la dénonciation d'une mauvaise politique et la défense d'un autre candidat. Le gouvernement LREM est à ce titre critiqué dans de nombreux tweets, indifféremment de leur tonalité vis-à-vis de l'immigration, mais avec la désignation d'un problème antagoniste. Pour les détracteurs de l'immigration, le gouvernement n'a pas suffisamment lutté, voire a favorisé l'immigration, tandis qu'il s'est rendu coupable d'atteinte aux droits des migrants en proposant la loi Asile et Immigration pour les partisans des migrants. Il est à noter que le lien entre le tweet sur l'immigration et le sujet qui l'a suscité est parfois complètement distendu. Il semble alors que le thème de l'immigration soit introduit par le tweetos par association d'idées, au contact de certains mots ou sujets comme Marine Le Pen, les élections, l'islamogauchisme, le non-respect des règles sanitaires durant la pandémie de la covid, les quartiers, le trafic de drogue, le mot « racailles » etc.

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