18 novembre 2024
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Lise Laurence Gillot, « Les fortunes de Guyane : sociologie politique d’un groupe aux privilèges intersectionnels », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.24e513...
Les discours sur la Guyane mettent surtout en avant la pauvreté endémique de ce territoire français d’Amérique Latine. Pourtant, les contribuables à l’Impôt sur la fortune y sont parmi les plus riches de France et font partie des plus grands propriétaires fonciers du pays. Certes, aucune richesse personnelle n’atteint le milliard, et les plus hauts revenus et patrimoines de Guyane représentent des fortunes de seconde zone. Mais leur position périphérique dans le palmarès ne les prive pas d’un statut d’exceptionnalité à l’échelle locale. Quelles sont les ressources sociales de la richesse en Guyane ? Appréhendé à travers une enquête sociologique mêlant entretiens obtenus selon la méthode réputationnelle et observation participante de deux années au sein d’un club service de Cayenne, le terrain apparaît prédominé par des individus aux dispositions similaires. Ces derniers sont propriétaires et directeurs de plusieurs entreprises crées localement ou d’enseignes de grands groupes extérieurs. Ce sont majoritairement des hommes, âgés de plus de soixante ans et relativement dominants du point de vue de leurs propriétés ethniques métropolitaine, chinoise, libanaise, antillaise et créole guyanaise. Pour étudier les rapports de domination imbriqués qui produisent les ressources sociales de classe, de genre, de race et d’âge de l’élite économique, nous proposons de renouveler les usages scientifiques des capitaux bourdieusiens à partir de l’intersectionnalité. L’obtention d’un large volume de capital économique exige un travail de mobilisation stratégique de multiples attributs. Il s’agit de se réapproprier le leg colonial qui structure le rapport des sociétés ultramarines à l’Etat et de construire sa légitimité par l’activation conjointe des marqueurs de l’ubiquité, de l’autochtonie et de la blanchité. Il est également requis d’intégrer très jeune les attentes du milieu, de performer une masculinité hégémonique, de mettre à profit les capitaux hérités, d’entretenir ses réseaux avec le monde politique et de recourir aux illégalismes avec habilité et discrétion. Ainsi, les dirigeants d’entreprise étudiés font partie d’une petite « classe pour soi », un groupe privilégié organisé pour contrôler les normes d’accès aux leviers de pouvoir et défendre ses intérêts.