8 mai 2020
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Hermes Salceda, « Roussel Ricardou : enjeux théoriques », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.29ea29...
Une vision élargie du Procédé permet d’abord de situer la contrainte roussellienne par rapport à ce que son auteur en attend, en l’occurrence qu’elle induise la création de matériaux narratifs tout à fait originaux et totalement indépendants du monde extérieur. L’avantage de cette vision, plus complète, à mon sens, du Procédé est aussi de montrer nettement que les générateurs ne sont qu’une des phases de la production et que le texte d’arrivée est le résultat de la combinaison de plusieurs contraintes ou, si l’on veut, d’une contrainte principale et de contraintes corollaires :1. production de générateurs : deux matrices paronymiques (primitif), d’un accouplement de termes hétérogènes (amplifié) ou d’une chaîne arbitraire de mots (évolué) ;2. invention d’un récit ;3. économie du langage : synthèse et clarté ;4. économie narrative : enchaînement logique des événements.Ainsi, le Procédé n’est pas une contrainte aussi simple que souhaiterait nous le faire croire son inventeur dans la description laconique qu’il en donne. Enfin, les analyses qui précèdent montrent comment la potentialité du Procédé, son devenir texte, se situe à plusieurs niveaux :– au niveau rhétorique : c’est l’exploration des possibilités de transformations matérielles des mots ;– au niveau fictionnel : c’est la création d’inventions plus ou moins saugrenues ;Roussel Ricardou : enjeux théoriques 267– au niveau de la langue : c’est l’insistante exploration, jusqu’à leur épuisement, de certains champs sémantiques, et l’exploration souvent assez exhaustive des significations de certains mots ;– au niveau stylistique : c’est l’économie dans la manipulation de la langue ;– au niveau micro-structural : c’est la mise en place de réseaux signifiants complexes qui soulignent la matérialité de l’écriture.On conclura sur une vision non mécaniste de l’écriture sous contrainte. Les contraintes ne sont pas linéaires, malgré les métaphores mathématiques (équation, formule…), aucun enchaînement logique ne mène directement et irrémédiablement de la formulation de telle contrainte à la composition de tel texte et, en sens inverse, aucune structure ne permet de reconstituer avec certitude un processus d’écriture. Il existe probablement, en revanche, quand les implications d’une contrainte sont traitées avec rigueur, une économie de l’écriture contrainte qui conduit à un certain traitement de la langue et de la fiction, avec des ramifications sur tous les plans du texte : toutes les formes du dédoublement présentes dans LS en donneraient une éclatante illustration. Bref, un traitement rigoureux de la contrainte multiplie et diversifie les actualisations de sa potentialité au point qu’il n’est plus aisé de les ramener à la simple formulation de la contrainte. Certaines idées de Jacques Derrida à propos du rapport de la structure au sens pourraient être reprises pour l’analyse des textes contraints.[…] la structuralité de la structure, bien qu’elle ait toujours été à l’oeuvre, s’est toujours trouvée neutralisée, réduite : par un geste qui consistait à lui donner un centre, à la rapporter à un point de présence, à une origine fixe. Ce centre avait pour fonction non seulement d’orienter et d’équilibrer, d’organiser la structure […] mais de faire surtout que le principe d’organisation de la structure limite ce que nous pourrions appeler le Jeu de la structure 16.Ainsi, le défi des lectures formalistes des textes contraints n’est pas moindre puisqu’il s’agit bien d’analyser la logique de la contrainte tout en évitant d’en limiter la potentialité.