2020
Cairn
Amélie Ferey, « Des larmes de crocodile ? Culpabilité et stress post-traumatique chez les pilotes de drones armés », A contrario, ID : 10670/1.2a2ob9
L’utilisation de drones armés par les États-Unis a fait l’objet de critiques nourries. Tandis que certaines mettent en doute la légalité des frappes, d’autres dénoncent la « déshumanisation » d’une guerre à distance. En particulier, la controverse s’articule autour de l’hypothèse dite du tampon moral selon laquelle la grande distance à laquelle est placé l’opérateur de la personne ciblée facilite le passage à la violence. Si l’on suit cette logique, la possibilité offerte par les drones de projeter sa force à des milliers de kilomètres sans mettre sa vie en danger fait courir le risque d’une « virtualisation de la conscience de l’homicide » (Chamayou 2013 : 153). Dans cette perspective, cet article s’intéresse aux cas d’états de stress post-traumatique (ESPT) dont souffrent les pilotes de drones américains. Ces pathologies ont été mobilisées au plan rhétorique par les partisans de ce type d’armement afin de contrer l’association faite entre drones armés et « mentalité de jeu vidéo ». Or la présence d’ESPT n’indique pas simplement une prise de conscience de l’acte de donner la mort. Elle est aussi liée à des facteurs conjoncturels tels que les conditions de travail des pilotes. En particulier, la cohabitation entre l’espace domestique et l’espace de guerre complique la prise en charge morale de la violence. Ainsi, l’hypothèse du tampon moral reste entière et n’est pas invalidée par les états de stress post-traumatiques ressentis par le personnel navigant américain. Après avoir brièvement distingué les critiques légales-contextuelles des critiques technologiques-principielles du drone armé (I), nous analysons la théorie dite du tampon moral selon laquelle la distance désinhibe l’acte de tuer (II). La présence d’états de stress post-traumatique parmi ses pilotes de drones ne permet pas d’invalider le rôle joué par la distance dans la désinhibition de la violence, laissant entières les interrogations sur les conséquences morales de la technologie du drone armé (III).