Réflexions sur l'inhumation d'individus volontairement mutilés au haut Moyen âge

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26 mai 2021

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Frédéric Boursier et al., « Réflexions sur l'inhumation d'individus volontairement mutilés au haut Moyen âge », HAL-SHS : archéologie, ID : 10670/1.2aajf6


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La découverte de cas de mutilations dans des contextes archéologiques alto-médiévaux est exceptionnelle et toujours d’analyse complexe faceaux différentes hypothèses que sont les violences interpersonnelles, les châtiments judiciaires, les accidents ou les actes chirurgicaux. Larareté de ces découvertes tranche avec leur récurrence dans les codes législatifs contemporains, interrogeant sur l’application réelle de cespratiques, ainsi que sur le devenir des corps. Les études abordant cette problématique pour des périodes postérieures nous indiquent quel’interdiction de sépultures devient la norme et vient majorer au-delà de la mort l’exclusion de la personne dans un monde devenu chrétien.Mais, ce cadre ne peut pas aisément être appliqué pour les périodes du haut Moyen Âge, où l’emprise chrétienne n’est pas encore totalesur une population fortement imprégnée de droit coutumier. C’est à travers deux cas, fouillés récemment, d’individus mutilés, dont l’examentracéologique permet de reconstituer en partie l’intention des auteurs, et en comparaison avec les cas déjà décrits dans la littérature, que nousproposons de discuter l’accès à des funérailles au sein des nécropoles pour ces individus.Description des casLa sépulture 156 de la nécropole mérovingienne de Vicq (Yvelines) contient un unique individu, âgé de plus de 20 ans et de sexe indéterminé,positionné en décubitus dorsal. Il a été inhumé dans un contenant en bois dans une fosse adaptée à sa taille, ayant subi une violation avecperturbation des ossements principalement au niveau des côtes droites, des avant-bras, ainsi qu’au niveau de la ceinture pelvienne. La datation14C indique un intervalle à 95 % entre 432-639 AD. La particularité de ce cas tient aux pieds coupés juste au-dessus de l’articulation des chevilleset positionnés entre les genoux, en bonne connexion à plat sur le fond de la fosse. L’examen des zones d’amputation met en évidence un minimumde trois coups, d’aspect peri mortem, pour aboutir au résultat, deux pour le côté droit et un pour le côté gauche. Les pieds ont été détachés parau moins un coup localisé au tiers inférieur de la jambe, sections visibles au niveau du tibia gauche et des fibula, avec des lésions évoquant unetranchante contondante. La zone d’intérêt majeur est un ensemble de lésions de découpes concernant l’extrémité distale du pied droit, et ayant abouti à une amputation de quelques orteils et d’une partie supéro-externe du pied. Le plan de coupe n’est pas parfaitement en cohésionavec le plan anatomique et impose un mouvement pour permettre cet alignement. La direction peut être déterminée et indique la face plantairecomme zone d’entrée. Cette lésion ne semble se comprendre que comme un raté dans un mouvement de retrait de la part de l’individu, permettantainsi d’évoquer des scénarios d’intentionnalité.La sépulture 3288 de la nécropole mérovingienne de la ZAC des Épinaux à Frépillon (Val d’Oise) contient un unique individu, inhumé en décubitusdorsal, en situation anatomique, dans une structure délimitée par des pierres de calage en calcaire déposées contre la paroi, de façonirrégulière, de part et d’autre de l’individu. La datation 14C indique un intervalle à 95 % entre 650 – 768 AD. La particularité de ce cas tient à laprésence de trois lésions coupantes-contondantes, d’aspect peri mortem, au niveau du membre supérieur gauche, responsables d’une section auniveau des 2e au 4e métacarpiens, d’une fracture coupure au tiers inférieur du radius et de l’ulna, et d’un impact tranché au tiers supérieurde l’humérus, pouvant correspondre à des lésions de parade. Il est noté un impact tranchant dans l’axe sagittal, de 12 cm de long qui s’étend dudessus de l’orbite gauche jusqu’au milieu de l’os pariétal gauche. Enfin, des impacts tranchants sont identifiés au niveau des vertèbres C2 et C4,et la face postérieure de la branche mandibulaire gauche, permettant de proposer une intention de décapitation.DiscussionL’examen tracéologique de ces deux cas indique clairement des éléments en faveur des actes de violences ante-mortem, éliminant ainsi leshypothèses chirurgicales ou accidentelles. Les mutilations interviennent dans un continuum d’action qui semble aboutir au décès immédiatou rapide des individus. S’il n’est bien sûr pas possible de différencier un acte de châtiment judiciaire, d’un épisode de violence guerrière oucriminelle, nous pouvons constater que les individus intègrent une sépulture conforme aux normes en vigueur de l’époque, sans signedistinctif. Les parties anatomiques sectionnées intentionnellement sont intégrées dans la sépulture. Les parties qui semblent avoir étésectionnées accidentellement (doigts ou orteils) n’ont pas été retrouvées. Des cas similaires avaient été identifiés dans la nécropole mérovingienned’Erstein (Bas-Rhin), datée du VIe au VIIe siècle. Deux individus avaient subi pour l’un, l’amputation des deux mains, repositionnées en situationanatomique, et pour l’autre, une amputation des deux pieds, positionnés comme pour Vicq, entre ses jambes. Nous voyons donc se dessinerdes pratiques funéraires d’aspects similaires pour une même période dans une aire culturelle donnée. Il est connu des cas d’amputation aveccicatrisation, signant ainsi la survie de l’individu, qui eux sont inhumés sans leurs extrémités, comme à Laon ou à Cutry. La rareté de ce type demutilation constatée en contexte funéraire pour cette période, ainsi que le manque de documents historiographiques contemporains, limitentnos possibilités d’interprétation. Cependant, il nous semble important de partager ces connaissances et de s’interroger sur les pratiques et lesmotivations qui entourent l’inhumation de ces individus mutilés.BibliographieBuchet et al. 2009Buchet L., Darton Y., Legoux R. 2009. Une prothèse du Haut Moyen-Âge découverte à Cutry (Meurthe-et-Moselle). In : Décrypter la différence :lecture archéologique et historique de la place des personnes handicapées dans les communautés passées (ed. Delattre V.; Sallem R.; CQFD/2009), p. 129-130.Georges 2011Georges P. 2011. Lésions osseuses péri mortem d’origine anthropique dans la nécropole alto-médiévale d’Erstein (Bas-Rhin) : corps ravagés ou corps outragés ? In : Bodiou L., Mehl V, Soria M.(dir.), Corps outragés, corps ravagés de l’antiquité au Moyen Age. Turnhout : Brepols, p. 401-418.(Culture et Société médiévale)Jorrand et al. 2007Jorrand J.-P., Anton A., Vidal P. 2007 : « Laon, Aisne. Le cimetière mérovingien du secteur Saint-Julien ». In : Villes et campagnes en Neustrie :sociétés, économies, territoires, christianisation : actes des XXVe Journées internationales d’archéologie mérovingienne de l’AFAM, 2010, tome 16, p. 277-292.Lebrun 2019Lebrun A., Mouterde P. L’individu de la tombe 3288 : entre soins et violences à l’époque mérovingienne (Frépillon, Val d’Oise, Île-de-France,France). Colloque du GPLF, Bruxelles, 2019.Vivas 2012Vivas M. La privation de sépulture au Moyen Âge : l’exemple de la Province ecclésiastique de Bordeaux (Xe-début du XIVe siècles) [En ligne].Thèse Histoire et Archéologie du Moyen Âge. Poitiers : Université de Poitiers, 2012.Disponible sur Internet http://theses.univ-poitiers.fr

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