2019
Cairn
Marie-Anne Frison-Roche, « Le législateur, peintre de la vie », Archives de philosophie du droit, ID : 10670/1.2bn68n
Peindre si bien que la toile est un objet vivant est un exploit technique qui fut atteint par peu. Francis Bacon obtint de la toile qu’elle fasse son affaire de préserver en elle la vie, tandis que Carbonnier, avec une semblable modestie devant la toile et le métier, obtint que la Loi ne soit qu’un cadre, mais qu’elle ne laisse pourtant cette place-là à personne et surtout pas à l’opinion publique, afin que chacun puisse à sa façon et dans ce cadre-là faire son propre droit, sur lequel le législateur dans sa délicatesse et pour reprendre les termes du Doyen n’appose qu’un « mince vernis ». Ces deux maîtres de l’art construisaient des cadres avec des principes rudimentaires pour que, sur cette toile, le mouvement advienne par lui-même. Ainsi la Législation créée par Carbonnier offrit à chaque famille la liberté de tisser chaque jour son droit. Mais c’est pourtant bien au Législateur seul que revint et doit revenir l’enfance de l’art consistant à tendre la toile sur le métier. Il est alors possible, comme le fit Bacon, d’obtenir un objet immobile qui permet que surgissent sans cesse les figures mobiles. Les gribouillis réglementaires sont à mille lieues de cet Art législatif-là.