19 décembre 2024
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Amandine Mudry, « Facteurs de risque associés aux idéations suicidaires au travail : exemple chez les vétérinaires français », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.2d6fed...
De quelle manière le travail influence-t-il la suicidalité des individus ? La littérature cherche à répondre à cette question en explorant les traits de personnalité, en mesurant l’impact des stresseurs professionnels, ou encore en investiguant l’effet déclencheur des événements de leur vie personnelle. La part relative de ces facteurs n’est que rarement identifiée. La plupart de ces études sont athéoriques et de nature transversale, ce qui ne permet pas d’établir des liens de causalité, ou de saisir la dynamique temporelle des processus. La présente thèse vise à identifier la part des différents facteurs de risque : stresseurs professionnels, burnout, événements de vie négatifs hors-travail et facteurs de personnalité, séparément et conjointement, pour mesurer leur effet respectif sur les idéations suicidaires d’un groupe professionnel, celui des vétérinaires français. Une méthodologie exploratoire a été utilisée. Nous avons tout d’abord mené une pré-enquête qualitative par entretiens auprès de 39 vétérinaires français dans le but d’identifier les stresseurs et les ressources de leur pratique, de questionner leur état de santé perçu, ainsi que leur suicidalité. Puis nous avons réalisé une étude quantitative longitudinale de 33 mois en trois temps de collecte par auto-questionnaire. Celle-ci avait pour premier objectif de mesurer les stresseurs perçus par les vétérinaires (Vet-SQ), le burnout (MBI-GS), les facteurs de personnalité (addiction au travail et évaluations fondamentales de soi) et les événements de vie rencontrés en dehors du travail. Le second objectif consistait à mesurer l’impact respectif et conjoint de ces différentes variables sur les idéations suicidaires transversales et longitudinales des vétérinaires. Deux théories psychosociales du suicide, la théorie Défaite-Piège, et la Théorie Interpersonnelle du Suicide ont également été mobilisées pour tester leur pouvoir prédicteur sur les idéations suicidaires au travail. Les résultats montrent que les vétérinaires sont particulièrement vulnérables aux idéations suicidaires. Les analyses factorielles révèlent 8 stresseurs professionnels : la surcharge de travail, l’exposition à la négligence des propriétaires, les exigences émotionnelles de la profession, les inquiétudes financières, les conflits entre collègues, la peur des erreurs professionnelles, la peur d’être blessé au travail, et le fait d’avoir un travail morcelé. Ces stresseurs prédisent 14 % de la variance des idéations suicidaires concomitantes des vétérinaires (n = 3324), et 10 % de leurs idéations suicidaires à 33 mois (n = 289). Le burnout médiatise partiellement l’effet des stresseurs professionnels sur les idéations suicidaires. Les théories du suicide expliquent conjointement 31 % de la variance des idéations suicidaires ultérieures. L’effet de la crainte de commettre des erreurs médicales engendre chez les vétérinaires des sentiments de défaite, de piège, de fardeau et d'appartenance contrariée, expliquant l’apparition d’idéations suicidaires ultérieures. Les événements de vie négatifs hors du travail ont également un effet significatif sur les idéations suicidaires concomitantes et à distance dans le temps. L’analyse du rapport au travail des vétérinaires a permis d’identifier des profils d’addiction associés aux idéations suicidaires, les travailleurs workaholiques étant les plus affectés. Les évaluations fondamentales de soi prédisent également les idéations suicidaires à T1 et à T3. L’étude de l’effet conjoint des variables sur les idéations suicidaires à distance montre un effet prépondérant des évaluations fondamentales. Ces résultats conduisent à redéfinir la place des évaluations fondamentales de soi, qui témoignent d’une image de soi impactée par l’effet des stresseurs du travail, à l’origine d’idéations suicidaires ultérieures. L’ensemble de ces processus permet donc de mieux appréhender l’effet des variables liées au travail sur les idéations suicidaires des vétérinaires.