18 septembre 2023
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Jessica Ragazzini, « LA SURVIVANCE DU VIVANT EN PHOTOGRAPHIE : LA CONFUSION PHOTOGRAPHIQUE ENTRE LE CORPS ET L’OBJET DU MANNEQUIN À LA FIGURATION NUMÉRIQUE ANTHROPOMORPHE. », HAL-SHS : histoire, philosophie et sociologie des sciences et des techniques, ID : 10670/1.2s1kek
Depuis une dizaine d’années, de prestigieux prix en portrait photographique sontremportés par des images qui représentent des robots. Ces désignations ont de quoisurprendre puisque les prix de ces concours sont censés être décernés pour lareprésentation d’un être humain. Le robot étant un objet, la photographie proposéeaurait dû entrer dans la catégorie de la nature morte et être disqualifiée du concours.Au-delà de la remise en question des catégories photographiques, les lauréats donnentainsi des pistes qui permettent de mieux cerner la perception actuelle du corps humain,si proche des objets inanimés. Une certaine « survivance du vivant » (Aby Warburg,2015, [2003]; Didi-Huberman, 2002, p. 191) semble resurgir de ces photographies,malgré les tentatives de réification et les vains essais d’humanisation. Les résonnancesà d’autres types d’images du passé font également émerger la survivance. Le fantasmede l’animation est présent dans la production artistique depuis l’Antiquité (Ovide, lemythe de Pygmalion) et dans le langage courant depuis 1906, lorsque le terme« mannequin » ne désigna plus seulement l’objet anthropomorphe, mais également lajeune femme élégante vêtue selon la mode de son époque. Le photographe de modeHelmut Newton s’approprie l’évolution de cette définition qu’il décline en fonction desimaginaires sensuels que l’association du corps à l’objet convoque. Le déploiement destechnologies portant sur la modification du vivant de ces dernières décennies (chirurgieesthétique, clonage…) s’est accompagné d’un regain d’intérêt pour la corporéitétransformée et pour de nouveaux enjeux pour la confusion. Si, dans les arts, le corpsperformé réifie le vivant par son inquiétante immobilité face aux publics libres de leursmouvements, la photographie dont fait usage l’artiste Cindy Sherman va plus loinencore en proposant une image inerte qui semble d’une élasticité totale. Laxxiiireprésentation du visage semble dotée d’une telle malléabilité, qu’il n’apparait plus quecomme une enveloppe humaine vide de subjectivité. La généralisation et ledéveloppement des outils numériques ont facilité l’étirement des limites de lareprésentation humaine. Le photographe Nick Knight s’est concentré sur la persistancede l’impression de vie qui perdure malgré ses transformations à la limite del’abstraction. À chaque époque, la confusion entre le corps et l’objet fut stimulée pardifférents enjeux sociaux et politiques, qui entrent parfois en contradiction, mettant enlumière les singularités et les variations de représentations ambiguës entrehumanisation et réification. Au prisme des constantes et ruptures inhérentes auxconfusions entre le corps et l’objet, cette thèse explore les manières dont le vivantcontinue de surgir de la pratique de Helmut Newton, de Cindy Sherman et de NickKnight dans le but de comprendre l’impact de l’inerte sur la représentation et laconception du corps vivant. Ainsi, l’objectif est de démontrer que la photographie estproductrice d'un rapport singulier au vivant vis-à-vis de l'individu organiqueexpérimenté dans la vie quotidienne. Celui généré par la photographie est égalementdifférent du corps performé ou du corps mouvant dans la vidéo.