2018
Cairn
Estelle Bonnet et al., « De la « qualité de l’emploi » au « rapport au travail » des jeunes : des évolutions paradoxales », Céreq Essentiels, ID : 10670/1.3012f5...
Le fonctionnement du marché du travail français a peu à voir avec ce qu’il était 20 ans auparavant. Qu’il s’agisse de l’organisation du temps de travail ou de la nature du contrat de travail, les transformations économiques ont conduit à une remise en cause de l’unicité de la norme d’emploi à durée indéterminée et à temps complet. Après une relative stabilité pendant une dizaine d’années, les formes temporaires d’emploi sont reparties à la hausse à partir de 2010, plus particulièrement pour les individus les plus récemment entrés sur le marché du travail et les moins qualifiés (Gaini, Zamora, 2016). La croissance d’un chômage de masse, le développement des formes particulières d’emploi tels que l’intérim, l’emploi à durée déterminée, le temps partiel, s’inscrivant aux marges des catégories traditionnelles de l’emploi typique, touchent tout particulièrement les jeunes entrant, es sur le marché du travail (Baumann et al., 2016). Leur situation se caractérise aussi par un « surchômage » durable, par une instabilité chronique des débuts de carrière et/ou de leur parcours professionnel. Entre 1992 et 2010, le taux de chômage des 15-24 ans passe de 17 % à 23 %, la part d’emploi à durée indéterminée pour cette même classe d’âge décroît de 67 % à 49 % (INSEE, enquête Emploi). Une telle évolution des systèmes d’emploi contribue à brouiller les frontières entre emplois « primaires » (stable et avec de bonnes conditions de travail) et emplois « secondaires » (Doeringer, Piore, 1971), puisque se développent des segments d’emploi caractérisés de « secondaire stable » (Gadrey, 1990) et de « primaire supérieur » se concentrant sur les plus diplômé.es (Moncel, 2012). Les conséquences de cette fragmentation des périodes d’emploi pour les jeunes s’expriment plus largement dans leur intégration sociale (accès au logement, à la formation, à des compétences transférables, etc.). La jeunesse peut, dans ce contexte, difficilement être envisagée comme un état ou un processus continu mais, dans une période de vie marquée par le poids des incertitudes, comme « un segment du parcours de vie particulièrement riche en transitions d’un statut vers un autre, en renouvellement des articulations entre le biographique et le social, en intrication des diverses sphères de la vie, en transformations personnelles, en encadrements sociaux également » (Becquet, Bidart, 2013, p. 52). Alors que l’on identifiait auparavant des seuils qui faisaient passer de l’état de jeune à celui d’adulte, apparaît aujourd’hui une dissociation des étapes ainsi que leur réversibilité. Une réflexion peut alors être engagée sur la teneur des normes qui marquent les parcours des jeunes, en considérant leur pluralité, leur variabilité selon les sphères de la vie sociale, les milieux sociaux, le genre, les niveaux et types de formation et leurs usages par des jeunes qui tendent à s’y conformer ou à y renoncer. Ainsi, « même dans des situations de précarité qui les rendent improbables, la référence à la norme de l’emploi salarié à durée indéterminée, ou encore le projet de « monter sa boite » un jour restent des balises, des perspectives, des moteurs d’action » (ibid.).