15 juin 2022
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Christian Trottmann, « Richesses et pauvretés dans les Premier et Second Curieux de Pontus de Tyard », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.304c96...
Le Second Curieux paru en 1578 chez Mamert Patisson résulte de la séparation en deux parties du volume publié plus de 20 ans auparavant, sous le titre De l'Univers ou Discours de la nature du Monde et de ses parties. Le nouveau titre est ainsi libellé : Deux Discours de la nature du Monde et de ses parties. A sçavoir le premier Curieux traitant des choses matérielles et le second Curieux des intellectuelles. C'est ainsi qu'une métaphysique se détache tardivement de la physique dans l'oeuvre de Pontus de Tyard, l'année précisément où le seigneur de Bissy devient évêque de Chalon sur Saône, diocèse supprimé en 1901. Les deux Curieux figurent encore dans l'édition de 1587 des Discours Philosophiques, de Pontus de Tyard, Seigneur de Bissy et depuis Evesque de Chalon. Ils y font suite aux deux Solitaires et à Mantice. Ils y précèdent le Discours du Temps, de l'an et de ses parties dont la première édition remontait à 1556. Au contraire, le discours sur l'astrologie, dont la première édition de 1558 est antérieure à la partition des deux Curieux est placé avant eux. Le second Curieux issu donc de la séparation dans l’édition de 1578, de la métaphysique d’avec la physique, s’ouvre par une Adresse au roi, qui rompt la continuité du dialogue avec celui du Premier Curieux. Le poète de la Pléiade qui a participé à la naissance de ce genre en français entend se lancer, cette fois dans une adaptation en notre langue de la prose des philosophes, entreprise dont il mesure le risque dans sa « petitio benevolentiae » : « Car voyant les escrivains François n'avoir encores traicté en prose, que des recueils d'histoires ou Romans fabuleux, en quoy ils avaient employé la façon de parler plus vulgaire et familiere, comme leur sujet estait vulgaire et familier : Je ne doutois point qu'il seroit mal-aisé de former un stile de plus eslevee et belle façon, pour dignement representer et exprimer les hautes et belles conceptions des Philosophes, ou que celuy qui s'y essayeroit, ne rencontreroit promptement le jugement vulgaire en sa faveur. » Le poète devenu philosophe a bien conscience de la difficulté : il faut forger une langue philosophique au sein même du français au risque de ne pas être lu par le vulgaire, mais aussi par les savants qui préfèreront s’en tenir au latin. Dans les deux dialogues que nous allons examiner de plus près, la parole est répartie entre trois personnages : Le Curieux, le Solitaire et Hieromnime. Notons que c’est le second qui parle en première personne, représentant un narrateur qui semble proche de l’auteur. Son point de vue est généralement celui d’une pensée réflexive et critique, parfois ironique, même s’il reprend et suit parfois de très près les développements de l’une ou l’autre de ses sources. Le Curieux garde la parole plus des trois quarts du temps et rapporte généralement, quant à lui, des opinions plus ou moins explicitement identifiées. Nous assistons ainsi à la naissance d'une des premières métaphysiques en langue française. Une de ses pauvretés est la reprise parfois verbatim d'auteurs italiens, dans un désordre qui rappelle celui des cabinets de curiosité de l'époque. Les trois personnages opèrent une dissociation du discours au détriment de l'unité d'une pensée attribuable à l'auteur. Toutes ces pauvretés se retournent en autant de richesses.