29 avril 2025
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Sébastien Fleuriel, « Profession : videur. Une force d’interposition a-normale (transcription) », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.31a44f...
Noyée administrativement et statistiquement parmi un ensemble plus large d’activités liées au secteur de la sécurité privée (gardiennage, surveillance, vigile, …) (Warfman, Ocqueteau, 2011), la profession, ou plus sociologiquement devrait-on dire, le métier de videur dans les établissements de nuit (discothèques, night clubs, bars, …) présente un ensemble de caractéristiques qui lui est propre et qui contribue à différencier socialement sa population du reste de celle des agents de sécurité. Réformées depuis la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011, avec l’instauration d’une carte professionnelle attribuée par le CNAPS sur examen des aptitudes et du casier judiciaire des agents, les activités de sécurité privée obéissent depuis cette date très officiellement à un mot d’ordre de non intervention physique et de non mise en danger de soi. Il s’agit donc d’abord et avant tout d’une force de dissuasion chargée d’assurer un relai auprès des forces de l’ordre en cas de difficultés. Traduit dans le langage commun des agents, ils ne sont pas des cow-boys, n’ont pas vocation à l’être, et il n’est pas attendu d’eux qu’ils présentent des compétences corporelles et physiques particulières, techniques de combat ou autres, ni qu’ils interviennent physiquement face à une agression.Partie prenante du même secteur d’activité, les videurs en établissement de nuit, sont tout aussi officiellement soumis au même régime : pas d’interventions physiques agressive et une réponse proportionnée à celle de l’éventuel agresseur ; en somme pas d’autorisation officielle de se battre, ni de permis de se bagarrer, seulement celle de neutraliser. Pourtant en dépit de cette communauté de régime réglementaire, les videurs se distinguent très nettement du reste des agents de sécurité en ce qu’ils trouvent bien plus fréquemment exposés à des faits de violence et d’agressivité qui les obligent nécessairement à recourir à l’usage de la force physique pour mettre fin à celle-ci. Quand ils procèdent au filtrage de la clientèle à l’entrée de l’établissement (dans le jargon, la gestion de la porte), ils agissent ce faisant dans un interstice entre un espace privé (l’établissement) et un espace public (la voie publique) qui rend particulièrement délicat et sensible leur travail où ils ne sont pas autorisés à se battre, mais invités à calmer le ou les agresseurs devant ou à proximité de la clientèle (Bresson, 2018, 2023). Concrètement, il faut donc savoir se battre et le faire sans en donner l’air sous peine que l’agresseur porte plainte contre le videur, qui s’en trouvera convoqué au commissariat, et potentiellement mis à pied (retrait de la carte professionnelle) si les faits sont avérés. Cette singularité pratique en recoupe du même coup une seconde relative aux caractéristiques sociales des videurs qui se distinguent notoirement du reste des agents de sécurité, du fait même de la mise en œuvre de leur capital corporel agonistique (Mauger, 2006) alors qu’ils ne peuvent pas s’en prévaloir dans leur cv ou leur lettre de motivation. L’objet de cette communication aspire ainsi à décrire plus précisément cette caractéristique non explicite du métier de videur, ce savoir-faire agonistique attendu de l’employeur qui fait des videurs une force d’interposition doublement anormale, à la fois trait singulier de la population et compétence totalement invisibilisée par les normes officielles du secteur d’activité.La présentation repose sur un terrain ethnographique ouvert depuis 2022 dans une grande métropole de l’ouest de la France, qui rassemble une série d’entretiens (n=19) avec les videurs, des observations in situ dans des établissement de nuit, des rencontres avec les forces de police, le référent France Travail, l’exploitation des données sociales d’une entreprise prestataire de sécurité privée, la participation à une cérémonie de récompense des agents les plus méritants, des rendez-vous réguliers au siège d’une entreprise prestataire de services de sécurité avec son dirigeant, etc., permettant d’objectiver les caractéristiques sociologiques (trajectoires sociales et migratoires, diplômes, formation, capital sportif) des videurs qui les distinguent, partiellement au moins, de l’ensemble des agents de sécurité. De fait, cette double anormalité qui s’opère entre espace public et espace privé requiert une gestion ultra-sensible des situations de conflit et d’agressivité qui esquisse toute la complexité d’un métier fortement invisibilisé et souvent mal reconnu auprès de la clientèle.Bibliographie indicativeBRESSON Jonathan, Le conflit, du face-à-face au corps à corps une immersion comme agent de sécurité en établissements de nuit, Thèse pour le doctorat, Université Rennes 2, 2018.BRESSON Jonathan, « Discrimination et émotions du portier en bars et discothèques », Cahiers de la LCD, no 3, vol. 18, 2023, p. 51 67.MAUGER Gérard, Les bandes, le milieu et la bohème populaire études de sociologie de la déviance des jeunes des classes populaires (1975-2005), Paris, #0, Belin, coll. « Sociologiquement », 2006.WARFMAN Daniel et OCQUETEAU Frédéric, La sécurité privée en France, Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2011.