2025
Anne Simonin, « "Le regard froid du droit sur une loi terrible : la loi du 22 prairial (10 juin 1794)" », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.32ab21...
Le regard froid du droit sur une loi terrible : la loi du 22 prairial (10 juin 1794) La loi du 22 prairial (10 juin 1794) portant « réorganisation du tribunal révolutionnaire » est probablement la loi la plus connue et la plus critiquée des lois de la Terreur. Cette loi est à l'origine de ce qu'il est convenu d'appeler la Grande Terreur, la période qui court du 23 prairial an II (11 juin 1794) à la chute de Robespierre et des Robespierristes le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Un mois et demi pendant lequel 1 449 individus condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire de Paris sont guillotinés, une moyenne de 32 individus par jour contre 1 283 en un an d'exercice de ce même tribunal 1 . Une loi critiquée dès l'origine Le 22 prairial an II (10 juin 1794), le députés Ruamps qui découvre les dispositions du projet de loi, en séance, au fur et à mesure de la lecture faite par Couthon à la tribune de l'assemblée, ce texte n'ayant été ni imprimé ni distribué au préalable, s'écrit : « Ce décret [nom donné aux lois] est important ; j'en demande l'impression et l'ajournement. S'il était adopté sans l'ajournement, je me brûlerais la cervelle 2 ». Lors du débat parlementaire, des Dantonistes (Bourdon de l'Oise, Delacroix), à la Plaine tendance Montagnards (Merlin de Douai), aux Montagnards purs et durs (Mallarmé) : toute la Convention se cabre, au point 1 Chiffres tirés d'une enquête statistique en cours sur la Terreur en comparaison avec l'étude de Donald Greer, The Incidence of the Terror. A Statistical Interpretation, Harvard, Harvard University Press, 1935 (à paraître). 2 Séance du 22 prairial an II (10 juin 1794), Le Moniteur, t. 20, p. 697. d'obliger le président de séance, Robespierre, à abandonner son fauteuil et à venir à la tribune seconder le rapporteur Couthon 3 . Les critiques formulées contre la loi sont de deux ordres : d'une part, le flou de la nouvelle incrimination « ennemi du peuple » inquiète les députés : « Je vois parmi les délits pour lesquels on sera traduit au tribunal révolutionnaire celui d'avoir cherché à dépraver les moeurs [art. VI-8] […] je désirerais que ce délit fut spécifié d'une manière plus claire […] une rédaction moins vague et plus caractérisée 4 […] » D'autre part, le risque que fait peser la nouvelle loi sur l'immunité parlementaire suscitant la crainte de voir traduits au tribunal révolutionnaire les députés sur simple décision des comités ou de l'accusateur public, sans décret préalable de l'Assemblée 5 . Quatre jours de débat parlementaire, du 22 au 26 prairial (10-14 juin 1794), pour un projet de loi de vingt-deux articles, pendant lesquels la Convention adopte à l'unanimité, et sans changement, dix-neuf articles ; se voit refuser par les représentants du comité de Salut Public un amendement (celui demandé par Delacroix cf. infra), et obtient la modification de deux articles (art. X et art. XVIII). La « terrible » loi de prairial : déconstruction d'un anathèmeEn l'an III (1795), le député Saladin, fera de l'épisode de l'absence de débat parlementaire et de l'ajournement refusé, la base de la légende de la loi extorquée à une Convention sous « oppression » :