L'invention des masques sanitaires au XIXe siècle en France et en Angleterre : logiques, acteurs et enjeux

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22 novembre 2024

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Véronique Stenger et al., « L'invention des masques sanitaires au XIXe siècle en France et en Angleterre : logiques, acteurs et enjeux », HALSHS : archive ouverte en Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.33b60e...


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Jusqu’alors réservé à des usages liés au travail dans des contextes spécifiques, la pandémie de COVID-19 a introduit le masque comme un objet du quotidien, contribuant à transformer le statut de cet accessoire sanitaire d’objet professionnel à celui de symbole de solidarité et de responsabilité collective ou au contraire de contrôle social. Sans dessin ni visage, le masque sanitaire a ainsi été investi de mythologies modernisées révélatrices, par les croyances qu’on lui associe, des tensions sociales et politiques contemporaines. Dans La Voix des masques, publié en 1979, Claude-Lévi Strauss avait déjà insisté sur la nécessité de déceler les « mythes fondateurs de chaque masque » pour comprendre l’état et le fonctionnement d’une société. Ce sont précisément les croyances sociales et les significations culturelles autant que les usages et les discours sur le masque sanitaire, que le projet Breathing Modernities: Masks and Toxic Environments (1830s-1970s) cherche à explorer.Dans ce projet nous étudions le masque en France et en Grande-Bretagne depuis les années 1830 à travers les discours dont il fait l’objet et ses usages réels et imaginaires. Nous cherchons en particulier à rendre compte des idéologies et des savoirs qui façonnent cet objet et la manière dont les institutions et les acteurs professionnels, en particulier les médecins hygiénistes, ont contribué à faire du masque un dispositif sanitaire pour lutter contre les risques industriels et les maladies professionnelles. Plus largement, l’histoire du masque offre des perspectives intéressantes pour analyser comment notre compréhension du progrès industriel et de la santé ont été façonnés par la technique. L’omniprésence du masque durant la pandémie de COVID-19 a mis en évidence un paradoxe frappant : à l'ère de la biomédecine de laboratoire, c'est une simple technologie du XVIIIe siècle qui a constitué la première ligne de défense contre les maladies épidémiques. Or, comme le montrent les premiers résultats de notre recherche, la majorité des masques brevetés au XIXe siècle ne visaient pas la protection contre les maladies infectieuses pendant les épidémies, mais la protection des travailleurs contre la toxicité de leur métier, les environnements hostiles et dangereux et l’air insalubre. L’histoire du masque sanitaire est étroitement liée au développement des savoirs médicaux, chimiques et techniques sur l’air, sa matérialité, son insalubrité et sur les moyens de le rendre sain. Tout au long du XIXe siècle, les médecins hygiénistes et autres commentateurs n’ont de cesse d’interpeller les pouvoirs publics sur la nécessité d’un investissement massif dans une politique sanitaire de l’air. Ils investissent également le monde des ateliers et recommandent le port du masque dans certaines industries. Les masques filtrants, ou “respirateurs” comme on les appelait à l’époque, ont été conçus pour protéger les travailleurs contre l'inhalation de poussières, de fumées et d'autres substances toxiques, considérées par les hygiénistes comme les ennemis les plus redoutables de la santé des travailleurs. L'histoire du masque sanitaire révèle ainsi les racines communes de la protection contre différentes menaces sanitaires environnementales. Les archives nous ont permis d’identifier plus d’une centaine d’inventeurs français et anglais aux profils très divers: médecins, chirurgiens, chimistes, militaires, pharmaciens, artisans, ouvriers, inspecteurs du travail… Les sources mettent en lumière l’imbrication des enjeux sanitaires en contexte épidémique et ceux posés par l’industrialisation; des liens entre les prisons, les hôpitaux et les fabriques; les relations entre la conquête militaire et la conquête des espaces hostiles et dangereux, sous terre, sous l’eau et dans les airs. Or, le masque est un objet hybride. Considéré par ceux qui en promeuvent l’usage comme une protection efficace de l’ouvrier contre les environnements toxiques, son existence a dans le même temps contribué à rendre ces environnements insalubres socialement acceptables. Nous proposons d’aborder l’histoire du masque en structurant notre présentation autour de trois axes principaux. Tout d'abord, nous explorerons les contextes intellectuels qui ont mené à l'invention des masques respirateurs, en nous intéressant particulièrement à la question de l'air insalubre, une préoccupation croissante au XIXe siècle face à l'industrialisation. Ensuite, nous adopterons une approche biographique pour identifier les inventeurs de ces masques, en retraçant leurs parcours, leurs motivations et leurs contributions à l'amélioration des conditions de travail. Enfin, nous examinerons les usages et non-usages du masque dans les milieux de travail de l'époque, en analysant les facteurs qui ont influencé l'adoption ou le rejet de ces dispositifs de protection dans différentes industries.

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