14 décembre 2022
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Aurélie Laborde, « Violences numériques ordinaires et résistances discrètes : la face obscure des communications organisationnelles », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.3b9c7a...
Violences numériques ordinaires et résistances discrètes : la face obscure des communications organisationnellesRésumé des travaux réalisés en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communicationAurélie Laborde, maître de conférences en 71ème section, laboratoire MICA, axe COSGarante : Valérie CarayolMembre du jury : Yanita Andonova, Françoise Bernard, Christian Bourret, Valérie Carayol, Christian Le Moënne, Valérie Lépine, Vincent LiquèteSoutenance le 14 décembre à 14h30, Salle des thèses, Maison de la recherche.Les trois documents présentés en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches proposent une relecture de plus de vingt ans de recherches, d’enseignements et d’engagements collectifs à l’université Bordeaux Montaigne et dans des instances nationales en sciences de l’information et de la communication.Nos travaux de recherche s’articulent autour d’un socle commun : les mutations sociales et organisationnelles associées au développement des dispositifs numériques de communication. Ils s’inscrivent dans une perspective critique qui met en lien ces transformations avec les évolutions de la société marquée par la pensée néolibérale. La relecture de ces travaux permet d’identifier une progression des perspectives critiques, des méthodologies, et plus globalement de l’épistémologie qui les sous-tend. Elle permet également d’ouvrir la discussion sur plusieurs questions nouvelles dans le champ de la communication organisationnelle.Nos programmes de recherche sont revisités à l’aune d’objets peu traités dans le champ de la communication organisationnelle en France : les phénomènes oubliés, non débattus, qui ne font plus « évènement » ou sont cachés dans les organisations du travail. Cette réflexion nous amène à développer de nouveaux concepts autour de la violence et de la résistance en organisation et une démarche de « recherche action collaborative » qui permet de prendre au sérieux et d’éclairer ces pratiques laissées dans l’ombre et de viser l’apprentissage organisationnel et la transformation.Dans le vaste panorama des recherches critiques en organisation, un champ anglo-saxon récent - les Organizational Darkside Studies - revendique explicitement une analyse des côtés « sombres » et « obscurs » des organisations. Ces productions, avec d’autres, permettent d‘enrichir et de renouveler les perspectives critiques dans le champ de la communication organisationnelle et notre approche des questions de vulnérabilité et de souffrance au travail. Elles abordent notamment sous un nouvel angle les problèmes éthiques, politiques et idéologiques, généralement négligés, ignorés ou déniés dans les organisations, et proposent de prendre au sérieux les « pratiques de l’ombre ». Les formes de violence et de résistance qui sont mises au jour et discutées dans ce travail relèvent ainsi de la « face obscure » des organisations. Elles sont souvent considérées comme négatives ou non éthiques, elles sont également invisibles, cachées, passées sous silence, ou déniées, dans les organisations, à la fois par le management et les salariés. Nous cherchons à éclairer ces pratiques non pas pour les corriger ou les adapter, mais pour observer ce qu’elles nous disent des représentations et des transformations du travail, des jeux de pouvoir dans les organisations post-disciplinaires, et des alternatives possibles. Les violences numériques ordinaires au travail rendent compte d’un ensemble de phénomènes que nous observons depuis plusieurs années sur nos différents terrains de recherche et dans notre quotidien professionnel. Elles traduisent des transformations profondes des formes de communication et de coopération au travail, sur fond de crise des modèles managériaux. Il s’agit de violences relationnelles, médiatisées par notre équipement numérique, qui ne font plus « évènement », sont invisibles et largement tolérées dans les organisations. Nous les qualifions de « violences » dans la mesure où elles produisent de la souffrance, que celle-ci soit intentionnelle ou non, conscientisée ou non par les acteurs. Ces violences s’appuient à la fois sur des contextes organisationnels et sociaux qui euphémisent et rendent acceptables et banales ce type de pratiques, et sur des potentialités des technologies numériques qui facilitent l’ambiguïté, diluent l’intentionnalité et accentuent la souffrance. Dans ce contexte, certaines pratiques de communication participent au « masquage » et à l’euphémisation de ces violences. Le choix du terme « violence », que nous discutons, permet également, dans la perspective d’une recherche action collaborative à visée transformative, de se dégager de la vision fataliste d’une souffrance irréversible, comme fruit d’un « système » contre lequel il est impossible de lutter, et de réaffirmer l’importance du pouvoir d’agir des acteurs. L’invisibilisation de ces formes de violence repose sur un processus de banalisation dont nous cherchons à identifier les leviers pour pouvoir le déconstruire, dans l’objectif de restaurer la réflexivité organisationnelle et de rendre l’ordinaire des organisations in-tranquille. Le second objet que nous proposons à la réflexion concerne les résistances discrètes en contexte professionnel. En nous appuyant sur nos recherches passées et sur de nouveaux travaux, nous nous intéressons simultanément aux résistances aux technologies qui équipent le travail et aux potentialités des technologies pour soutenir et actualiser les processus de résistance. Cette réflexion nous permet de revaloriser la question des résistances dans les recherches en sciences de l’information et de la communication, alors même que celles-ci se font de plus en plus discrètes et pour certains auraient disparues du champ des organisations du travail. Les nouvelles formes de résistance sont indissociables des formes de pouvoir propres aux organisations post-disciplinaires, relevant majoritairement de luttes discrètes et symboliques. Nous proposons d’analyser ces résistances dans leurs dimensions positives et créatrices, à la fois comme révélatrices des évolutions organisationnelles, et porteuses de modèles alternatifs, de réinvention des formes d’organisation du travail et d’usages des technologies numériques. Envisager la résistance comme un processus dynamique nous permet également de montrer l’importance des formes de résistances discrètes, détournées, invisibles, les micro-résistances. Celles-ci doivent être prises au sérieux comme potentiellement porteuses de mobilisations plus larges, plus visibles et de transformations. Les lectures et les réflexions qui ont conduit à la production de ce travail confortent également notre choix de poursuivre une recherche engagée au plus près des praticiens et des organisations à travers des recherches action collaboratives que nous définissons et documentons. Cette approche nous semble particulièrement pertinente dans un contexte de transformation continue des organisations sous l’impulsion des évolutions numériques, économiques et gestionnaires. Les situations d’incertitudes intenses qui caractérisent les pratiques professionnelles actuelles, renforcées par l’avènement du travail hybride, nécessitent d’observer les organisations au plus près, d’interroger les points de vue, les incertitudes et les dilemmes éthiques des acteurs, dans le temps long d’une relation de confiance. Cette démarche répond également à une demande des praticiens d’être actifs et impliqués dans la production de connaissances. L’approfondissement des questions méthodologiques et épistémologiques se rapportant à nos recherches action collaboratives met en avant un ensemble de notions : savoirs investis, savoirs institués, connaissances pratiques en désadhérence, objectivations enracinées. Celles-ci nous permettent de mettre en perspective notre pratique scientifique de terrain, tout en essayant d’en évaluer la nature et la portée et en interrogeant la validité des connaissances construites dans des dispositifs innovants.Les perspectives critiques que nous développons et argumentons dans ce travail s’attachent simultanément aux formes de domination et de résistance, aux structures qui contraignent comme au pouvoir d’agir et à la réflexivité des acteurs et des collectifs de travail. Elles s’autorisent à produire une critique sociale au plus près des acteurs, en se fondant sur les critiques ordinaires, discrètes, quelquefois résignées, mais bien présentes dans les organisations. Elles proposent enfin, au-delà de la mise au jour et de la dénonciation des phénomènes inacceptables dans les organisations, de se préoccuper des effets critiques de la recherche, à travers la mobilisation des praticiens, pour soutenir, expérimenter et diffuser les connaissances produites tout au long du processus de construction de la recherche, dans une optique de transformation. Dans ce contexte, la communication des organisations, envisagée à la fois comme gouvernement et comme pratique productive, peut participer à masquer et à rendre invisibles certaines pratiques et certains phénomènes, elle peut également transformer, mettre en lumière et faire évoluer les représentations. Les pratiques de communication sont envisagées dans ce travail non seulement comme constitutives des organisations, mais également comme mode de formation et de légitimation des pratiques de pouvoir à travers les luttes pour le sens et les identités, et comme valeur économique essentielle de la production capitaliste contemporaine. L’incommunication, les conflits, comme les pratiques de communication cachées, inattendues ou non éthiques, s’ils sont souvent négligés, oubliés ou passés sous silence dans les entreprises, participent pleinement au processus d’organizing, aux pratiques de pouvoir et à la production symbolique des organisations. S’intéresser aux troubles, aux dysfonctionnements, aux pathologies de la communication ou à ses pratiques invisibles, cachées, tues, nous permet ainsi d’analyser l’évolution des relations au travail et plus globalement de l’organisation du travail. Les travaux proposés se divisent en trois documents : une présentation réflexive et synthétique de vingt ans de recherches en sciences de l’information et de la communication intitulée « De l’imaginaire des technologies numériques aux violences numériques ordinaires et aux résistances cachées en contexte de travail » (volume 1, 60 pages) ; une présentation critique d’une sélection raisonnée de travaux intitulée « Violences numériques ordinaires et résistances discrètes : la face obscure des communications organisationnelles » (volume 2, 283 pages) ; un curriculum vitae détaillé d’une trentaine de pages.