2001
Cairn
Florence Vatan, « L'obscur attrait des formes : Wolfgang Kœhler et la catégorie de Gestalt », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, ID : 10670/1.3lmd1d
Il y a un certain paradoxe à vouloir fonder – comme le fait Wolfgang Kœhler – une psychologie « scientifique » tout en érigeant en concept-clé de sa Gestalttheorie une notion aux résonances littéraires empruntée à Gœthe. Ce choix lexical est d’autant plus surprenant que la Gestalt, dans la première moitié du XXème siècle, est également un mot d’ordre idéologique teinté de connotations antirationalistes et conservatrices. J’examine dans cet article trois explications distinctes de ce paradoxe. La première s’intéresse à l’histoire interne de la discipline et attribue l’utilisation du concept à des motivations purement épistémologiques : Kœhler se sert de la notion comme d’un instrument de lutte contre la psychologie élémentariste. La seconde explication souligne l’imprégnation idéologique d’une théorie marquée – comme nombre de projets intellectuels de l’époque – par son orientation holiste. Ni les débats internes à la discipline ni l’hypothèse d’une « contamination » par le Zeitgeist n’élucident cependant le rôle fondateur joué par cette notion dans la genèse de la théorie kœhlerienne. La thèse de cet article est que la catégorie de Gestalt, en raison de sa richesse évocatoire et de ses connotations à la fois scientifiques et littéraires, se révèle pour Kœhler heuristiquement féconde : elle permet d’embrasser dans un même cadre théorique des phénomènes d’ordinaire isolés, tels les processus physiques, perceptifs et cognitifs. Elle répond ainsi au projet philosophique kœhlerien d’une alliance entre « sciences de la nature » et « sciences de l’esprit ».