Du sens contenu dans la banalité des mots : la correspondance d’un malgré-nous (Eugène Bernard, 1914-1917)

Résumé Fr

Cette proposition de communication à deux voix effectuera l’analyse de la correspondance d’un soldat mosellan enrôlé de force dans l’armée allemande pendant la Grande Guerre. Cette correspondance a été extraite des archives de l’ASCOMEMO (Association pour la Conservation de la Mémoire en Moselle). Il s’agit d’un fond d’environ trois cent lettres, dont la plupart sont rédigées par Eugène Bernard et destinées à sa soeur Valérie et son beau-frère Nicolas Müller entre 1914 et 1917. Sous l’apparente banalité des activités évoquées par le correspondant, (ramassage des pommes, exploration des villes de cantonnement, évocation de la frugalité des repas) se lit à certains moments une vérité brute et incisive liée au conflit, qui tranche avec la répétition des activités du quotidien. La grande tension qui en résulte se lit en filigrane (et aussi par l’absence de descriptions précises, qui laissent l’imagination combler les vides), comme cet extrait d’une lettre datée du 3 avril 1916 le traduit parfaitement : « Comme je vois sur votre lettre, vous vous inquiétez déjà parce qu’ils nous poussent à quitter Verdun, mais ne craignez pas, nous sommes tous bien contents de sortir de cette « bouilloire à sorcières » (Hechssel Kessel)… où nous irons, on ne sera jamais si en danger que là-bas. »Précisons également que cette correspondance prend son ancrage dans une zone géographique particulière, la Moselle alors annexée par l’Allemagne. Le scripteur passe donc du français à l’allemand et use parfois des deux langues dans une même lettre. Cette dimension rend le déchiffrage de l’écriture encore plus complexe et traduit une étrange appropriation des spécificités de chaque langue. L’auteur s’incarne dans ses lettres, par tous les travers qui sont les siens (fautes d’orthographe, formulations incorrectes, répétitions etc.). Les missives sont envoyées depuis le front russe ou polonais, la côte de Craonne, les villages de Luppy, d’Arry ou Büsendorf (Bouzonville). Le lien entre l’histoire personnelle et la grande Histoire est donc palpable. Ici, l’archive témoigne de la dimension « infra-ordinaire » pour reprendre les termes de Georges Pérec, des mots, qui contiennent bien plus que leur apparente insignifiance. L’utilisation de formules récurrentes telles que : « Par la grâce de Dieu, je suis encore en bonne santé » ou « Soyez embrassés de loin » témoigne de l’importance du lien maintenu par la correspondance en ces temps bouleversés et du rôle joué par l’écrit auprès des familles, comme preuve de l’existence (au sens de trace tangible).

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