L’argent numérique des banquiers centraux : L’euro entre évolution et révolution

Résumé Fr En

L’article analyse le processus d’institutionnalisation de l’euro numérique actuellement en projet au sein de la Banque centrale européenne. Pour ce faire, nous procédons à une analyse systématique des communications relatives à l’euro numérique publiées par la BCE et ses représentants. Cette analyse conduit à identifier les thèmes autour desquels l’institution communique de manière privilégiée et donc les éléments de légitimation qu’elle emploie. Nous montrons que la BCE opère un cadrage particulier du projet et de l’innovation monétaire qui doit en naître. Cette approche est ensuite comparée aux projets alternatifs portés par les acteurs de la société civile. Il apparaît que la BCE adopte une communication tendant à invisibiliser les implications sociales et politiques du projet d’euro numérique en l’abordant d’une manière principalement technique, ancrée dans des préoccupations économiques et notamment financières. De leur côté, les propositions alternatives ouvrent la voie à un euro numérique doté de finalités spécifiques (pouvant être diverses). Alors que la monnaie est, quelle que soit sa forme, d’abord une institution portée par la légitimité dont elle bénéficie et la confiance qui lui est accordée, aucun des projets formulés quant à l’euro numérique ne peut se prévaloir d’être le plus légitime. Nous discutons des implications pratiques et théoriques de cette situation pour la conduite du projet d’euro numérique ainsi que pour la gouvernance des banques centrales.

This article analyses the institutionalization process of the digital euro currently in development by the European Central Bank. To this end, we conduct a systematic analysis of the communications about the digital euro published by the ECB and its representatives. The themes around which the institution primarily communicates and the elements of legitimization that it employs are thus identified. We show that the ECB has a particular way of framing the project and the monetary innovation that is to emerge from it. By comparing this approach to alternative projects promoted by civil society actors, we see that the ECB’s communication, which is essentially technical and anchored in economic – and particularly financial – concerns, tends to make the social and political implications of the digital euro project invisible. Alternative proposals, on the other hand, open the way for a digital euro with specific (and possibly diverse) purposes. While money, irrespective of its form, is first and foremost an institution supported by the legitimacy it commands and the trust placed in it, none of the projects formulated for the digital euro can claim to be the most legitimate. We discuss the practical and theoretical implications of this situation for the implementation of the digital euro project and for central bank governance.