16 octobre 2020
info:eu-repo/semantics/OpenAccess
Benjamin Dang, « Bouffons des temps modernes : figures de morosophes dans les oeuvres théâtrales d'Alfred Jarry, Michel de Ghelderode, Samuel Beckett, Roland Dubillard & Alain Badiou. », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.3xugxu
Malgré l’ancienneté du personnage populaire, la notion de bouffon a tardé à entrer dans le vocabulaire critique des études littéraires. Pourtant le bouffon, qui s’appréhende à travers la fonction sociale de critique dont il s’acquitte, peut se définir par le prisme de l’histoire de la folie, qui implique une réflexion anthropologique et sociologique, et de l’histoire du spectacle, à la croisée de la littérature et des arts. Le présent travail élucide donc, à travers leurs représentations au théâtre, les attributs et les fonctions des bouffons du XXe siècle. Le XXe siècle a été choisi comme cadre temporel car ce siècle est marqué par deux transformations majeures. D’une part, il est frappé par ce que Jean-François Mattéi appelle une « crise du sens », phénomène global de mise en péril de la signification et de l’orientation de l’existence dans une ère post-métaphysique. Le bouffon pouvant être considéré comme un vecteur de critique socio-politique et de médiation métaphysique, interroger son insertion dans une telle crise permet de mettre en lumière les aspects saillants de sa définition. D’autre part et concomitamment, le siècle connaît aussi une révolution théâtrale opérée grâce à la libération des codes langagiers, à l’avènement de l’espace dans la théorie et la pratique théâtrales, et à l’exploitation des moyens électriques nouveaux qui promeuvent l’art de la scénographie. En tant qu’outil d’exploration esthétique, la figure du bouffon permet de mettre en lumière les caractéristiques de cette révolution, et vice-versa. Il s’agit donc ici de questionner le réinvestissement moderne de la figure traditionnelle du bouffon comme reflet de la révolution théâtrale et, par conséquent, comme réponse à la crise du sens. Le corpus réunit une sélection parmi les œuvres théâtrales d’Alfred Jarry, Michel de Ghelderode, Samuel Beckett, Roland Dubillard et Alain Badiou. La période s’étend de 1896, année marquée par la création d’Ubu roi, à 2018, date à laquelle le dernier chapitre de la saga d’Ahmed est proposé à la scène. L’étude repose majoritairement sur l’étude de texte en s’appuyant au maximum sur la réalisation scénique, par l’entremise de témoignages ou d’articles de presse. La première partie est consacrée à un parcours historique du bouffon depuis l’Antiquité afin de mieux mettre en perspective sa modernité dans la deuxième partie, où il fait l’objet d’une typologie. On y voit alors que les bouffons modernes se réapproprient toutes les traditions dans un grand syncrétisme. La troisième partie met l’accent sur les spécificités modernes dans l’inventivité langagière, dans l’exploitation du comique burlesque et dans la promotion d’un humour empreint de tragique. La dernière partie peut alors clarifier les réponses socio-politiques, métaphysiques et théâtrales apportées par ces bouffons qui accèdent au titre de « morosophes », c’est-à-dire de « fous sages ».