2022
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Yves Citton, « Médiation et simulation chez Albert Robida à la lumière de l’archéologie des media », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.400218...
Lire en 2014 Le Vingtième Siècle ou La Vie Électrique d’Albert Robida produit à leur plus haut degré les effets de saisissement propres au genre de l’anticipation. Ces effets sont au moins de deux ordres. D’une part, on ne peut manquer d’être frappé par les « coïncidences » multiples et profondes entre la fiction anticipatrice et la réalité advenue : chaque page ou presque nous étonne en révélant à quel point Robida avait « vu juste ». Bien sûr, ce premier effet repose largement sur une illusion rétrospective, propre non tant au genre d’anticipation qu’à la dynamique herméneutique de l’après-coup : le lecteur du XXIe siècle est proportionnellement bien plus sensible aux phénomènes ponctuels de coïncidences qu’à l’arrière-fond de projections erronées sur lequel ils s’inscrivent. Notre transport aérien s’est organisé autour des avions, non des ballons ; la forme dominante en est l’oiseau et non le poisson ; notre vie politique ne s’est pas (encore) polarisée entre partis masculins et féminins : la liste des fausses prophéties serait sans doute aussi longue que celles des intuitions géniales. Ces premiers effets de saisissement, les plus frappants et les plus immédiats dans l’expérience de lecture des textes d’anticipation, est bien le produit de la dynamique épistémologiquement très douteuse du « précurseur », qu’avait critiquée Canguilhem comme reposant sur une illusion téléologique1 : à la vue des développements ultérieurs, nous réinterprétons le passé comme orienté de façon inhérente vers ce qui en est sorti (les TGV, la télévision, la finance mondialisée), pré-orientant et téléologisant par avance ce qui n’était en réalité à l’époque qu’un champ ouvert de possibilités, non-prédéterminé à suivre le cours de développement contingent qui a été le sien.