2007
Laurent Guirard, « Les risques impalpables du monde musical : 2 / Eviter ou déraper entre logos et pathos ? », HAL-SHS : philosophie, ID : 10670/1.424vax
Les discours tenus sur la nature ou les bienfaits de la musique font rarement l’objet d’une mise à l’épreuve de leur validité et d’une analyse de leur origine épistémologique. Cela tient souvent au fait qu’on les considère comme subsidiaires à l’écoute ou à la pratique et qu’on fonde alors toute autorité dans la parole des compositeurs et des interprètes (lesquels sont, en principe, moins formés à produire des discours rationnels et des systèmes de connaissances que des œuvres et des interprétations). Il s’ensuit un jeu de cache-cache théorie-pratique marqué par une surenchère d’informations extradisciplinaires et où l’on peut raconter à peu près tout ce qu’on veut sur le musical sans jamais risquer d’être trop facilement contredit : actes et pensée sont rarement régulés conjointement et par une pratique (d’œuvres, de techniques, de publics, mais aussi de méthodes de pensée) et par une épistémologie moderne (ayant une double pertinence artistique et intellectuelle). Ainsi, la musique offre un terrain accueillant et des métaphores puissantes et flexibles aux idéologies de tout bord (du moment qu’on la valorise). Ces idéologies peuvent alors constituer un risque, aujourd’hui accru, pour qui prendrait leurs discours trop « au pied de la lettre », n’en saisissant ni les paradoxes, ni l’origine, ni les contextes d’emploi possibles. Après l’analyse des idéologies de valorisation du risque (partie 1) nous aborderons celles qui, au nom de la créativité et de la sensibilité demandée aux individus, convoquent, d’une part, le pouvoir romantique du regard d’artiste à décoller de la réalité (afin de permettre aux hommes de se consoler de leurs souffrances en les poétisant) et, d’autre part, la figure de l’enfant comme idéal en soi (afin de trouver une issue à la crise de la culture qui marqua le XXe siècle).Or, ce regard de l’artiste peut-il être efficacement détaché des œuvres et des codes qui l’ont porté à nous et constituent les garde-fous de sa pratique – et cela de surcroît en étant toujours sommé d’assurer des fonctions culturelles de cohésion sociale et de civilisation des êtres ?De même, quelle est la valeur éducative d’un système établissant, à partir de préoccupations purement esthétiques, un objectif dont la définition reprendrait les figures du sauvage, de l’aliéné ou de l’enfant ?L’analyse démontre que ces idéaux fallacieux sont souvent le fruit d’emprunts légitimateurs mal assimilés ou de rencontres interdisciplinaires ratées (faute de méthode, de désir ou d’appareil sémantique commun entre les champs, trop hétérogènes, du discours sur l’art et des sciences de l’homme et de la société).