Rumeur et crise aux Ier et IIème siècles ap. J.-C. : sur la valeur historique d’un motif littéraire

Résumé En Fr

Studies on ancient rumours in Rome, which have long been under the sway of the so-called “psychopathological” paradigm, have recently been renewed by sociological approaches. Yet, the relationship between rumours and political crisis, as it appears in our literary sources, has not been analysed in depth. The aim of this paper is to deconstruct the association between rumours and crisis in the 1st and 2nd century AD by showing that it is shaped through the distorting mirror of Tacitus, our main source for this period. We first analyse how rumours could serve the dramatisation of the Tacitean narrative, thus creating what seems to be a correlation between rumours and situations of tension. Then, we focus on the rumours which are not dramatised in Tacitus, highlighting how unrelated they are to the political instability. Finally, to give a more complete and accurate picture of the phenomenon, we turn to non-historiographical and non-literary sources (poetry, novel, declamations, inscriptions), which have not yet been deeply studied in relationship to rumours: these texts outline a social phenomenon whose temporality, spaces and themes belong to the routine rather than to the crisis.

L’étude historique du phénomène de la rumeur à Rome, récemment renouvelée grâce aux apports de la sociologie et progressivement débarrassée de son orientation psycho-pathologique, n’est pas encore parfaitement parvenue à interroger le lien entre rumeur et crise tel qu’il apparaît dans les sources littéraires. Tel est l’objectif du présent article, qui se concentre sur le Ier et le IIème siècle du principat. Pour déconstruire le lien rumeur/crise, nous cherchons à montrer qu’il est produit par une utilisation à la fois trop exclusive et trop réductrice de Tacite, notre source principale pour cette période. Dans un premier temps, nous analysons le rôle des rumeurs dans la dramatisation du récit tacitéen, qui associe le phénomène aux moments de forte tension, donnant ainsi l’illusion d’une corrélation. Dans un deuxième temps, nous nous penchons sur les rumeurs non dramatisées chez cet auteur et soulignons qu’elles ont à voir avec des thématiques souvent très éloignées de l’instabilité politique. Dans un troisième temps, nous complétons l’image du phénomène en utilisant des sources contemporaines, mais non historiographiques (poésie, roman, déclamations, documents épigraphiques) et jusqu’à présent laissées dans l’ombre : celles-ci dessinent les contours d’un fait social routinier par sa temporalité, ses espaces et ses thèmes.