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Carsten Wilhelm, « Penser la refiguration normative : la collaboration interculturelle face au contraintes du dispositif numérique », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.4492a0...
Nous avons pu constater dans nos recherches l'effet d'un dispositif techno-pédagogique numérique sur la culture communicationnelle des acteurs qui échangent à travers cet environnement (Wilhelm, 2009). Les acteurs sont caractérisés par une diversité nationale, linguistique et culturelle et par une homogénéité statutaire et de métiers (enseignants du supérieur pour la plupart d'entre eux). Si nous suivons l'hypothèse selon laquelle leur socialisation a fait émerger des normes culturelles tacites, implicites (Dubar, 2006 ; Henslin, 2004) et que les normes de la communication en ligne sont particulières également, tout comme les normes et règles d'interaction du dispositif pédagogique (Peraya, 1999), assistons-nous à une refiguration normative par l'interaction à distance ? Les normes préfigurées des acteurs vont-elles s'aligner au fur et à mesure de l'interaction ? Nous allons présenter un cas où ces trois types de normes se conjuguent pour permettre l'émergence d'une communauté de communication (Apel, 1973). Nous étudions dans ce cas un espace social d'interaction : un environnement d'apprentissage collaboratif en ligne. Nous regardons plus précisément les usages et les pratiques à l'intérieur de cet espace et les représentations des acteurs de leur expérience partagée. L'espace inclut une marge d'improvisation des acteurs ainsi qu'une possibilité de négociation des normes et règles configurant la structure sociale (cadrage dispositif). Nous nous intéressons particulièrement à cette négociation du territoire social. Le paradigme de l'interaction symbolique " est un cadre théorique basé sur la supposition que la société implique des interactions par lesquelles les individus construisent activement la réalité du quotidien " (Maconis, 1991). Si le social se construit par voie de négociation et d'adaptation, par interaction symbolique, il est d'autant plus indiqué de prendre en compte les influences venant de l'extérieur de l'environnement de l'interaction en question, par exemple des influences interculturelles " importées " lors de l'utilisation des TIC. Selon les résultats de notre enquête, les apprenants d'un dispositif de formation à distance se trouvent dans un contexte local d'utilisation (école, université, maison, cybercafé) avec en conséquence des contraintes et affordances très diverses (horaires, accessibilité, encadrement, matériel...). L'environnement qui les unit et qui est partagé par tous est celui de la plate-forme en ligne, qui au-delà des échanges écrits, leur procure un environnement spatial propre à leur interaction. L'environnement sémiotique disponible est donc un mélange de présence et de distance. Cette dynamique passe nécessairement par un espace intermédiaire, proposé par le dispositif, et qu'il convient d'analyser. C'est cet espace tiers, qui peut transformer les cadres primaires (culturels et matériels) de l'expérience pour les acteurs. Il le fait par la rupture volontaire des cadres " allant de soi " à travers la méthodologie pédagogique du conflit cognitif mais également par l'équipement. En construisant l'artefact numérique nous construisons une façon de vivre (Winograd et Flores, 1986). L'objet, et encore plus le dispositif, en tant qu'agencement d'objets et de règles d'usage, configurent l'usager (Woolgar, 1991). Il le fait par trois moyens : la prescription d'interdictions, l'introduction de contraintes (dispositif contraignant) et l'imposition de normes au bon usage (Thévenot dans Proulx, 2000). Le dispositif numérique pose donc le cadre des interactions et surdétermine le potentiel du cheminement des acteurs. Dans ce contexte, c'est la tension entre collaboration interculturelle et cette surdétermination qui nous intéresse. Ou, pour poser la question autrement : la préfiguration par l'outil prévautelle sur l'émergence et sur le bricolage culturel ? Y a-t-il une culture inhérente au dispositif technique dans lequel se déroulent les échanges, analogue à l'italianicité de Barthes pour designer des connotations culturelles dont Serge Proulx a tiré le concept d'américanicité des objets des technologies de l'information et de la communication (Proulx dans Sauvageau, 1999) ? En clair et pour donner un exemple : les utilisateurs divers ressentent-ils que l'interface graphique est culturellement marquée, que l'espace en ligne entretient des liens symboliques avec un territoire identifiable et particulier ? et avec quels effets, quelles manifestations de sens ou d'usage dans leur pratique ? nous nous situons dans une approche interactionniste et socioconstructiviste. Cette approche s'inscrit dans le cadre des théories de l'activité (Engestr m, ) et mobilise des concepts tels que la médiation (Vygotsky, 1934, 1980 ; Peraya, 1999 ; Jeanneret et Le Tallec, 2005), l'espace social d'interaction et les cadres de l'expérience (Goffman, 1991), le dispositif (Foucault, 1993 ; Jacquinot, 1999, 2002), l'action et l'apprentissage situés (Lave, 1991), la cognition distribuée (Hutchins, 1995a, 1995b). Les unités d'analyse sont le message ou du moins sa trace pérenne, archivée comme médiateur de l'activité collective, les outils comme outils sémiotiques de la médiation (Vygotsky, 1934, 1980), comme instruments (Rabardel, 1995), et artefacts cognitifs qui sont, pour Anderson " quelque chose qui organise la réalité et fournit un instrument de pensée " (cité dans Meunier et Peraya, 2004), et surtout les représentations des acteurs de leur expérience commune. Ainsi, grâce à notre corpus (traces des interactions en ligne, résultats d'enquête par questionnaire et observations en direct) nous constatons un poids indéniable du dispositif numérique dans la formation des échanges et des discours. La question qu'il faut élucider alors est la suivante : Cet effet dispositif estil normalisant ou bien résultant d'une négociation interculturelle ? Pour répondre, nous nous appuyons sur les affordances (Gibson, 7 ) de l'écosystème numérique permettant des usages non-contraints pour déceler le poids relatif de la normalisation dispositive, sa place d'actant au sens de Latour (1996) et le rôle des normes communautaires émergentes.