2024
Cairn
Antonin Cohen, « Un acte de nomination ordinaire. Lagrange, du Conseil d’État à la Cour de justice », Civitas Europa, ID : 10670/1.4d952j
Comment Maurice Lagrange est-il passé du Conseil d’État de la République française à la Cour de Justice de la Communauté européenne ? Par un acte de nomination. Au contraire des élections, très minutieusement étudiées par la science politique, les nominations demeurent peu explorées, alors qu’elles suscitent régulièrement l’attention de la presse. Si les travaux scientifiques existants permettent de comprendre certaines des variables du recrutement, ils ne doivent pas laisser à penser que les procédures de nomination n’ont pas leur part d’incertitudes. Ceci vaut plus particulièrement pour les grandes cours internationales et européennes qui, d’une part, ont historiquement connu des procédures de nomination hétérogènes, parfois peu explicites, et d’autre part, impliquent bien souvent un double voire un triple niveau de sélection. Cet article s’appuie sur le cas de Maurice Lagrange pour montrer que, dans cette logique, la « biographie » des candidats à la nomination n’est en rien « objective » et que, rétrospectivement, l’historiographie est relativement contrainte par les sources, qui ne restituent que partiellement les attentes et les attitudes des acteurs. Ainsi, rien ne permet de savoir précisément si les Gouvernements pouvaient connaître, dans le détail, les comportements et les opinions de Maurice Lagrange sous l’Occupation et dans les différentes fonctions qu’il a occupées. Au contraire, l’analyse des notices biographiques fournies aux Gouvernements lors de la première vague de nomination à la Cour de Justice montre une absence de « screening » systématique des trajectoires biographiques des juges et avocats généraux. Tout en complétant la « biographie professionnelle » de Maurice Lagrange que ce dossier de Civitas Europa se donne pour objet de restituer, cet article contribue à la réflexion sur les illusions biographiques inhérentes aux supports biographiques (mémoires, notices, curriculum vitae), ainsi qu’à une analyse des conditions dans lesquelles les actes de nomination des cours européennes et internationales interviennent. Il apparaît à l’analyse que la biographie de Maurice Lagrange ne semble avoir jamais fait l’objet d’une analyse approfondie, d’un rapport d’expertise, d’une évaluation externe, ou même de la simple transmission d’un curriculum vitae détaillé ; en tout état de cause, ces pièces ne se trouvent pas dans les archives. Il apparaît en même temps que, comparativement au poste de juge, celui d’avocat général français semble avoir été peu disputé et peu discuté ; en tout état de cause, ces éventuelles candidatures formelles ou simples sollicitations informelles n’ont laissé aucune trace.