15 janvier 2021
Frantz Grenet et al., « Alexandre au Paradis, du Talmud à l’Occident latin par l’Asie Centrale : une version judéo-iranienne du Roman d’Alexandre sur un bol d’argent bactrien du 6e siècle », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.4ebbc8
En 1973 Philip Denwood publiait un bol d’argent décoré de scènes variées à l’extérieur, qui avait été acquis auprès d’une famille d’émigrés de Lhassa. Il l’identifiait come une oeuvre grecque ou kouchane ancienne fabriquée en Bactriane, et proposait d’interpréter les scènes comme figurant le présage d’Aulis, annonçant aux Grecs la durée de la Guerre de Troie. Depuis lors Boris Marshak a redaté des 4e-6e s. la série des « bols bactriens » à laquelle appartient l’objet, mais, pas plus que d’autres spécialistes, il ne s’est engagé dans une réinterprétation du décor figuré.Bien que les scènes incluent deux personnages grecs nus avec une chlamyde et une écharpe flottante, un bassin avec des poissons, et un motif répété d’arbres et d’oisillons attaqués par un serpent, plusieurs objections décisives l’opposent à l’interprétation de Denwood, notamment l’impossibilité de reconnaître les héros de la scène Aulis, la présence de deux personnages indiens, et le fait que le chiffre de neuf oiseaux, qui seul donne un sens au présage d’Aulis, ne s’observe à aucun endroit. Il s’agit en fait de deux scènes tirées du Roman d’Alexandre : Alexandre en Inde recueillant des boulettes d’encens dans le bois sacré du Soleil et de la Lune, et Alexandre à la Fontaine d’Immortalité. Par rapport aux versions grecques et syriaques du Roman, une différence significative est qu’Alexandre accède en personne à l’eau de la Fontaine, qu’il boit dans une coupe et dont il s’asperge le corps. Ceci ne se trouve que dans la tradition juive, dont il existe principalement deux témoignages : un passage du Talmud de Babylon, et un récit dans le recueil hébreu Histoires d’Alexandre le Macédonien (Sefer Toldot Alexandros ha-Makdoni), mal datable mais sans doute antérieur au 10e s. Dans ce dernier récit Alexandre se fait circoncire pour pouvoir franchir la porte du Jardin d’Éden, et c’est exactement ce qu’on voit ici. Cette identification confirme la position éminente qu’avaient les communautés juives dans l’empire hephtalite, où l’on croyait que vivaient des tribus perdues d’Israël. En même temps, elle pourrait conduire à revoir à la hausse le rôle des traditions juives dans l’affirmation de la stature prophétique d’Alexandre qu’on observe plus tard dans la tradition arabo-persane.