L’attention aux émotions dans la prise en charge familiale de la maladie d’Alzheimer

Résumé Fr En

Cet article s’intéresse à la place des émotions dans une approche globale du soin, en s’appuyant sur une analyse sociologique compréhensive de la prise en charge familiale de la maladie d’Alzheimer. Certaines situations, décisions ou activités d’aide suscitent chez les personnes malades des expériences émotionnelles parfois très pénibles : l’heure de la toilette peut provoquer une grande anxiété ; la privation de certaines libertés, comme la conduite automobile, peut susciter de la colère ; certaines remontrances peuvent attrister la personne. Or prendre soin ne se réduit pas aux aspects matériels de l’aide et aux finalités ultimes des processus décisionnels, mais peut se définir aussi à travers une attention aux émotions de la personne malade. C’est à ces aspects du travail émotionnel profane, qui peut se décliner tant dans la recherche et la production d’émotions positives que dans l’évitement des épisodes émotionnels pénibles, qu’est consacré cet article. Pour certains proches, il s’agit, d’une part, d’imaginer et d’aménager des façons de faire favorables au confort émotionnel de la personne malade et même à l’émergence d’émotions positives. D’autre part, cette dimension du soin consiste à éviter à la personne malade l’expérience d’émotions pénibles, suscitée par des situations et des interactions embarrassantes sur le plan de la relation conjugale ou filiale, ou liées au constat de ses incapacités, ou encore à des changements trop rapides dans son mode de vie. Cette posture attentive aux émotions de la personne malade, qui transcende l’aide instrumentale, peut être éclairée théoriquement par la perspective du «  Care », qui permet de concevoir des formes très diversifiées de l’aide, et même d’envisager la retenue, voire le retrait ou l’abstention de certaines formes d’aide, comme un souci de l’autre et de son expérience singulière.

Taking care of emotions in the family care of Alzheimer’s diseaseThis article is about the role of emotions in an approach to family care, based on a comprehensive sociological analysis of family care of Alzheimer’s disease. Some situations, decisions or care activities inspire sometimes in patients very negative emotional experiences: the toilet can cause great anxiety; deprivation of some liberty, such as driving, can arouse anger; some admonitions may sadden the person. However caring is not limited to material aspects of support arrangement or the ultimate purpose of decisions, but can also be defined through an attention to the emotions of the person with Alzheimer’s disease. This article is devoted to these aspects of the profane emotional work, which can be expressed through both the research and production of positive emotions and by avoiding painful emotional episodes. On the one hand, this it is a question to imagine and develop ways to support the emotional comfort of the patient and even to bring out positive emotions. On the other hand, this dimension of care is to avoid to the Alzheimer’s patient to experience painful emotions, generated by awkward situations and interactions in terms of conjugal or filial relationship, or related to the finding of his disability, or too rapid changes in his lifestyle. This attentive posture to the emotions of the sick person, which transcends the instrumental support, can be theoretically illuminated by the care perspective, which enables us to analyze highly diverse forms of support, and even consider restraint or even withdrawal or abstention of certain forms of support, such as a concern for others and his singular experience.