17 septembre 2021
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Myrtille Picaud, « Mettre en marché les peurs urbaines : le développement des « safe cities » numériques », HAL-SHS : sociologie, ID : 10.3917/dec.senik.2021.01.0139
À Nice, Marseille, Saint-Étienne ou encore Valenciennes, se développent des projets mobilisant des dispositifs numériques de sécurité, souvent dénommés par les industriels « safe city », dans une relative opacité. Ces dispositifs numériques sont divers et destinés à protéger les espaces urbains : vidéosurveillance dite « intelligente », où des algorithmes d’analyse d’image signalent des mouvements de foule, des violences, intrusions ; plateformes d’hypervision, qui analysent divers fichiers municipaux et nationaux ; big data en ligne afin de prévenir les crimes ; forces de l’ordre connectées, etc.Jusqu’à présent, ces dispositifs numériques de sécurité ont plutôt été analysés à travers les risques qu’ils poseraient aux libertés publiques, par une surveillance accrue de toute la population. Je propose d’analyser leur développement sous l’angle de la construction d’un marché. À qui profite le crime ? Mes recherches témoignent d’abord de l’investissement d’entreprises, des multinationales comme des start-ups, issues en particulier de la vidéosurveillance traditionnelle, de la défense, mais aussi du numérique. Néanmoins, la construction de ce marché est aussi le fait de représentants des pouvoirs publics, à l’échelle locale, dans les villes qui accueillent ces projets, mais aussi nationale et européenne, en vertu de son potentiel de croissance économique. L’analyse de l’offre des entreprises éclaire le ciblage spatial des dispositifs développés, qui sont plutôt destinés aux centres-villes, centres commerciaux, gares et autres lieux de circulation intense. Cela interroge la division spatiale du travail de contrôle : aux centres le numérique et dans les quartiers populaires la présence policière ? Cette recherche témoigne aussi du fort investissement, symbolique et économique, de dispositifs ciblant les délits de rue – et donc certains groupes sociaux –, à l’exclusion d’autres formes d’illégalismes. Les moyens publics investis dans le contrôle ne visent ni la délinquance financière, ni les dévoiements du recours aux locations meublées touristiques type Airbnb, qui pourtant déstructurent les marchés immobiliers locaux. En définitive, c’est ainsi la transformation de nos vies dans les espaces publics des métropoles contemporaines que cette enquête interroge.