Sédimentation phosphatée actuelle dans le lagon confiné de l'île Clipperton (Océan Pacifique). Datations, sédimentologie et géochimie

Résumé En Fr

The almost-atoll of Clipperton, 1,800 km from the Mexican coast, is characterized by an enclosed lagoon, receiving marine waters only when catastrophic events of very high energy, such as tempests, tropical storms, hurricanes or tsunamis occur. Owing to a high rainfall climate, the lagoon is, in fact, occupied by a meromictic lake, elliptically shaped, with axes of 3 km and 3.5 km. It has its own particular hydrology, showing salt water lenses topped by nearly fresh superficial waters. The ecology of the lake is a fresh water one, with Charophytes, Chlorophytes, land crabs (Geocarcinus), dragonflies. As a consequence of this particular climatology and hydrology, several sedimentological phenomena can be observed : late diagenesis on the ancient carbonates of the atoll, early diagenesis, and carbonate but chiefly phosphate sedimentation on the shores of the former lagoon, now a lake. The climatology and the presence of the meromictic lake in its center lead to an early carbonate diagene¬ sis which acts on modern coral deposits as soon as they are no longer under marine influence. Carbonate diagenesis also includes late diagenesis. The low salinity surface lagoon waters attack the reef rim and cause a dissolution of all the aragonite material in the ancient coral levées. This process is indicated by low cliffs at different altitudes surrounding the lagoon. An early diagenesis seems to occur causing magnesium and magnesium mixed carbonate neogenesis (magnesite and kutnahorite) within the present lagoonal deposits together with the present phosphate deposits. The present Clipperton lagoon seems to be the site of littoral phosphate particle deposition. Following sedimentary logic, these modern phosphate deposits are located along the lagoon bays on the leeward side of the windward coral rim i.e. in the NE and SE embayments of the lagoon. The deposits form an accretion prism resting on the ancient coral levees, forming phosphated tidal flats which are highly bioturbated by land crabs. These observations on the modern sedimentation allow us to present two main hypothesis : (1) It is possible that the phosphate is a result of the reworking of the old mines (during mining a small amount was dumped in the lagoon because of its low phosphate content) ; (2) it is also possible that the Clipperton lagoon is now producing phosphate from the meromictic lake waters ; this neogenesis might be similar to the one which could have occured on other oceanic islands for older deposits. As to the origin of the phosphate ions, several hypotheses can be made, (a) Phosphorus can come from the very thin crust deposits of guano left by birds. Samples of guano are analysed to compare them with phosphate deposits, (b) Phosphorus can come from the reworking of soils which were covering the island during the numerous quaternary periods of emergence. An attempt can be made to resolve this problem by elemental analysis of present phosphate deposits and volcanic rocks, (c) Finally, phosphorus can be of mixed origin, from guano and from matured soils of volcanic origin and enriched in phosphate. Phosphorus is accompanied by numerous ions : Zn, Ba, B, 5r, La etc... All these ions could have been leached into the lagoon waters and there allow apatite neogenesis. (d) The hypothesis, based on the existence of upwelling waters, is rejected because no upwelling exists around oceanic islands.

Situé par 109°12'34" de longitude Ouest et 10°18'41" de latitude Nord, le presqu'atoil de Clipperton est caractérisé par un lagon fermé ne recevant d'apports marins océaniques que lors d'événements exceptionnels de très forte énergie : tempêtes, cyclones, ouragans ou tsunamis. Suite à une climatologie caractérisée par une très forte pluviosité, le lagon est, en fait, occupé par un lac méromictique, elliptique, de 3 km en moyenne de diamètre, et montrant une hydrologie particulière avec stratifications de lentilles d'eaux salées surmontées par des eaux presque douces en surface. L'écologie du lagon est une écologie dulçaquicole avec charophytes, chlorophytes, crabes terrestres, libellules, etc... Conséquences de cette climatologie particulière et de la présence de la nappe d'eau douce de surface, plu¬ sieurs phénomènes sédimentologiques s'observent : une diagenèse tardive sur les "anciens carbonates" de l'atoll, une diagenèse précoce carbonatée et enfin une sédimentation carbonatée mais surtout phosphatée sur les rives de l'ancien lagon. La climatologie de Clipperton ainsi que la présence d'un lac méromictique en son centre provoquent une diagenèse précoce qui affecte les dépôts coralliens actuels dès qu'ils ne sont plus soumis à l'action de la mer. On observe ainsi rapidement un noircissement des fragments de coraux cassés qui deviennent extrêmement acérés et pointus par suite de la dissolution de l'aragonite et par suite de l'action des cyanobactéries et bactéries. Cette action dissolvante de l'eau du lagon vis-à-vis de l'aragonite se marque aussi par la présence de petites falaises décimétriques à la périphérie du lagon, falaises taillées dans une rudite corallienne très grossière à ciment phosphaté. L'érosion fait petit à petit reculer cette falaise intérieure et on observe ainsi des blocs basculés et effondrés de roche corallienne dans l'eau du lagon. La diagenèse précoce semble impliquer aussi la néoformation de carbonates magnésiens simples et doubles (magnésite et kutnahorite) dans les dépôts lagonaires. De plus, le lagon actuel de Clipperton semble être le siège d'un dépôt littoral actuel de particules phosphatées. Dans la logique sédimentaire, ce dépôt de phosphate se situe dans les baies lagonaires situées sous le vent des côtes aux vents, c'est-à-dire dans les anses NE et SE du lagon. Le dépôt forme un prisme d'accrétion s'appuyant, côté extérieur océanique, sur les rides coralliennes anciennes en formant des replats d'estran ou "Tidai Flats" phosphatés ; côté intérieur lagonaire, le dépôt se termine par un talus qui se raccorde au fond du lagon. Deux hypthèses peuvent être formulées pour l'origine de cette sédimentation actuelle. (1) 11 est possible que ce soit un remaniement issu des anciennes extractions de phosphates, dont on sait qu'une petite quantité était rejetée par suite de sa trop faible teneur. (2) 11 est possible aussi qu'on assiste à une néogenèse de phosphate dans le lagon de Clipperton, à partir des eaux du lac méromictique, néogenèse identique à celle qui a pu se produire antérieurement sur d'autres îles océaniques, pour les dépôts anciens de phosphates. Quant à l'origine des ions phosphates, plusieurs hypothèses peuvent aussi'être formulées, (a) Le phosphore peut provenir des enduits très minces de guano que déposent les oiseaux. Des prélèvements de ce guano sensu stricto, faits à Clipperton in situ, essaient de lever l'ambiguïté, (b) Le phosphore peut provenir du remaniement des sols qui recouvraient cette île lors des multiples émersions quaternaires. La comparaison des oligo-éléments dans le dépôt actuel de phosphate et dans la roche volcanique confirme cette hypothèse. (c) Enfin, un apport mixte, à partir de guano et à partir de sois d'origine volcanique et enrichis en phosphates peut aussi être invoqué, le phosphore et son cortège géochimique se retrouvant actuellement dans les eaux du lagon par lessivage et permettant la néogenèse d'apatite. Le presqu'atoil de Clipperton semble donc présenter un modèle actuel de sédimentation phosphatée.