13 décembre 2023
Stéphanie Debray, « La science et ses contrefaçons : rôles légitimes et illégitimes des valeurs, des preuves et des agents dans les pratiques et les décisions scientifiques », HALSHS : archive ouverte en Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.4soxa9
Le problème de la démarcation entre science et non-science n'a à ce jour pas trouvé de solution générale pleinement satisfaisante. Les tentatives existantes n'ont notamment pas permis d'obtenir de critère(s) de démarcation offrant des conditions nécessaire(s) et suffisante(s) pour distinguer la science de la pseudoscience. La stratégie adoptée ici est de chercher à produire spécifiquement une définition fine de la pseudoscience, qui permette de la distinguer des formes inacceptables de science, et de la science au sens large. Deux traditions philosophiques sont réunies : une tradition classique qui se concentre sur la question de la démarcation, et une tradition plus récente qui examine le rôle et l'impact des valeurs dans les décisions scientifiques. Les forces et les limites des définitions de la pseudoscience de Hansson sont notamment analysées, et des perfectionnements successifs sont proposés. La définition la plus récente, par exemple, n'est pas entièrement adéquate dans la mesure où elle exclut des cas de pseudoscience et inclut certains cas qu'il convient de distinguer, en particulier des cas de fraude scientifique. Définir la pseudoscience requiert de surmonter trois obstacles : 1° trouver un moyen de définir la pseudoscience sans définition précise de la science - aujourd'hui manquante, et peut-être impossible à formuler (Laudan) ; 2° déterminer les conditions à remplir pour qu'une définition de la pseudoscience soit satisfaisante ; 3° choisir un definiendum primaire adéquat. En définitive, je soutiens que la notion de pseudoscientificité est directement liée à la façon dont les agents prennent des décisions et se comportent et seulement indirectement aux énoncés et aux disciplines. Je propose une nouvelle définition de la pseudoscience fondée sur cinq critères : (1) le critère de responsabilité, (2) le critère de la prétention scientifique, (3) le critère de la substitution des valeurs aux preuves, (4) le critère du comportement déviant, (5) le critère de résistance à la correction. Le premier critère vise à distinguer la pseudoscience des formes inacceptables de science. Sans le deuxième critère, la définition pourrait inclure la religion ou les croyances qui ne sont pas en conflit avec la science. Les trois autres critères visent à mieux comprendre le manque de fiabilité qui caractérise la pseudoscience et les formes inacceptables de science, en dépit de la diversité des domaines d'étude et de l'hétérogénéité de l'activité scientifique. Les deux derniers critères excluent les erreurs corrigées ou en voie de l'être, et les cas où les valeurs que détiennent les agents ne menacent pas l'objectivité de la recherche. La définition finale mobilise la distinction entre rôle direct et rôle indirect des valeurs dans les décisions scientifiques (Douglas). Cette distinction ne suffit probablement pas à résoudre la question plus générale des influences légitimes et illégitimes des valeurs en science. En revanche, considérer conjointement les rôles des valeurs, des preuves et des agents dans les pratiques et les décisions scientifiques, permet d'améliorer la définition de la pseudoscience, de mieux comprendre les formes inacceptables de science, et de distinguer différents types de pratiques déviantes. La nouvelle définition inclut les cas anormalement exclus dans la définition précédente et exclut les cas de fraude scientifique qui y étaient inclus. Dans son ensemble, la proposition permet de mieux comprendre comment la pseudoscience s'écarte de la science, tout en identifiant les raisons pour lesquelles certains cas sont obscurs, et les conditions dans lesquelles d'autres peuvent le rester. Plusieurs exemples sont mobilisés tout au long de l'étude, tels que le créationnisme, la divination, l'homéopathie. La science dite « nazie » et un traitement thérapeutique controversé sont également utilisés pour tester la proposition et exposer ses limites.