La lecture à l'épreuve des textes pluri-auctoriaux et plurilingues : sur le Mon Europe de Yuri Andrukhovych et Andrzej Stasiuk

Résumé Fr

Le but de cet article est d’analyser les problèmes que pose au lecteur un ouvrage singulier : Mon Europe, écrit de concert par le Polonais Andrzej Stasiuk et l’Ukrainien Yuri Andrukhovych. Si Andrukhovych et Stasiuk n’ont en commun ni la langue, ni la nationalité, ils représentent toutefois un même territoire transfrontalier à l’histoire complexe, et que les zélateurs de plusieurs nationalismes – ukrainien, polonais, autrichien – ont revendiqué comme leur appartenant de droit : la Galicie. En outre, ils ont tous deux le sentiment d’être, malgré eux peut-être, des citoyens de l’Europe Centrale et de l’Est, vaste ensemble « post-soviétique » qui englobe (selon Stasiuk) la Biélorussie, l’Ukraine, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Pologne. Réécrivant le continent qui est en quelque sorte son (anti )héros éponyme, le livre d’Andrukhovych et Stasiuk lance un défi aux lecteurs, dans la mesure où la double énonciation ukraino-polonaise fait qu’aucun d’eux ne peut se sentir entièrement familier du monde raconté/construit. En outre, les auteurs intègrent à leurs langues maternelles respectives des locutions slovaques, hongroises, russes ou encore roumaines, ce qui contribue à complexifier le geste de la lecture. À quoi il faut ajouter que les perspectives et les poétiques choisies par les deux écrivains sont hautement singulières : si l’écriture du premier est largement autobiographique, le second, lui, se comporte en géographe, voire en cartographe.