28 janvier 2020
François Lacire, « Pas spécialement poétique: Dé-spécialisation de la poésie au tournant du 21ème siècle à partir des oeuvres de Nathalie Quintane et Christophe Tarkos », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.5c64ut
La poésie parle de poésie ; les poètes parlent aux poètes. Ces évidences sont celles de la Modernité poétique, qui entérine à la fois les licences de la poésie, les missions du poète et leur cantonnement. Or, lorsque Nathalie Quintane, au dos de Chaussure (1997), écrit qu’elle entend « parle[r] vraiment de chaussure », et qu’il s’agit d’« un livre de poésie pas spécialement poétique, de celle qui ne se force pas », elle déclare s’émanciper du lieu spécifique du discours qu’a fini par désigner le nom « poésie ». Lorsque Tarkos, à de nombreuses reprises dans toute l’œuvre, affirme que la poésie est un discours de vérité et de clarification logique, d’exactitude restrictive, de pragmatisme et d’efficacité, de discernement, il lui assigne des taKches qui l’éloignent du canton du discours auquel une certaine tradition l’assigne. Tous deux diffusent et diluent la question épistémique propre de la poésie dans l’ensemble du champ épistémologique ; ils font du capharnaüm des discours spécifiques l’environnement de réception et l’échelle d’évaluation générale du discours poétique. Notre première partie propose le couple question-de-la-poésie / question-si-la-poésie pour caractériser le renouvellement, dans les années 90, du jeu des questions adressées à la poésie dans la Modernité. Notre seconde partie élargit les cadres de cette problématique : à l’échelle de la longue durée, interroger la pertinence de la poésie comme savoir, discours, licence, revient à interroger la légitimité du personnage du poète à savoir, à parler, à s’excepter. Dans un va-et-vient entre intrigue courte (Francis Ponge, Jean-Marie Gleize, Christian Prigent) et intrigue longue (Platon, les premiers sophistes, le Romantisme allemand, Heidegger), la thèse confronte son corpus aux spécifications traditionnelles de la poésie, aux licences plus ou moins empoisonnées qu’on preKte au « poème », aux privilèges plus ou moins exclusifs et excluants qu’on accorde au « poète ». Les œuvres de Quintane et Tarkos s’y révèlent particulièrement radicales : elles tendent à contester toute spécificité de la poésie, envisagée comme une activité publique et séculière (aux prises, comme tout discours, avec le courant de la langue), critique d’une division du travail discursif, et attentive à ne pas laisser se reconstituer, dans la référence persistance aux schèmes archaïque, classique, romantique, moderne, un clergé poétique en charge de dire la vérité de l’EYtre, de sonder les profondeurs de l’expérience, ou de relever le langage ordinaire de ses compromissions mondaines. Poésie ne désigne plus alors ni un lieu sur du discours, ni un non-lieu du savoir, mais une « pensée critique » (Quintane) que seules spécifient la méfiance devant toute spécialité et l’assomption conséquente de la condition idiomatique la mieux partagée : ne pas savoir ce qu’on va dire.