20 novembre 2024
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Marco Dal Pozzolo, « Le pathologique et son milieu : perspectives philosophiques sur le stress à partir de Georges Canguilhem », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.5c728d...
Le syndrome de stress soulève de nombreuses interrogations en raison de son étiologie multifactorielle, de son association avec diverses autres pathologies et de sa diffusion massive dans le monde professionnel. Ce travail emploie les outils conceptuels fournis par la pensée de Georges Canguilhem - ainsi que d’autres sources, notamment Kurt Goldstein - pour offrir une formulation philosophique à la problématique du stress. Au prisme de la philosophie de Canguilhem, le syndrome de stress peut être interprété comme l’effet d’une restriction de la normativité vitale. Cette hypothèse, qui traverse toute notre argumentation, émerge à la fois de la reconstruction des principaux modèles théoriques concernant le stress et de l’approfondissement analytique de concepts qui sont à notre avis capitaux pour comprendre cet objet d’étude. Nous reconstruisons l’interprétation canguilhemienne des premières recherches sur le stress, spécialement les contributions de Walter B. Cannon et Hans Selye. Leurs écrits et les réflexions disséminés dans l’œuvre du Canguilhem à ce propos, s’articulent notamment autour des concepts d’homéostasie et de pathologie de l’adaptation. Dans les années 1950 et 1960 en particulier, Canguilhem révèle un fort intérêt pour le syndrome de stress qui acquiert un rôle stratégique dans son œuvre. Le stress est pour Canguilhem à la fois un exemple paradigmatique de sa conception du pathologique et un trait d’union entre normes vitales et normes sociales. Les concepts élaborés par Canguilhem peuvent être également mobilisés au-delà de ses écrits, en particulier pour interpréter les modèles ultérieurs sur le stress que le philosophe n’a pas pu analyser. En fait, les recherches des dernières décennies se révèlent cohérentes à plusieurs égards avec les fondements de la philosophie canguilhemienne : sur le plan physiologique, parce qu’elles supposent que le vivant n’est jamais contraint à un seul équilibre physiologique, mais qu’il institue une pluralité de normes pour vivre ; sur le plan psychologique, car elles démontrent que le syndrome de stress est produit par l’inhibition de l’action ou par le manque de contrôle sur le milieu. En tout cas, il est associé à une diminution du pouvoir d’agir.Grâce à l’étude approfondie de trois notions, d’adaptation, de milieu, et d’incorporation nous proposons une analyse conceptuelle critique de la littérature sur le stress. En particulier, le concept d’adaptation, omniprésent dans les études sur les stress, acquiert dans cette littérature avec une pluralité de sens différents. L’analyse canguilhemienne du concept nous permet de classifier les modèles du stress en trois catégories selon leurs conceptions de l’adaptation (conformité contrainte au milieu, adaptabilité et capacité d’adapter le milieu à soi-même). Nous employons ensuite le concept de milieu chez Goldstein et Canguilhem comme outil critique contre toute conception déterministe de la pathologie, en montrant que le stress s’installe toujours dans la relation de l’organisme avec son milieu. La notion d’incorporation permet quant à elle de thématiser la relation entre normes sociales et syndrome de stress, ouvrant ainsi à la question des milieux pathogènes. C’est cette dernière piste que nous approfondissons en nous intéressant à la question du stress professionnel, qui nous permet aussi de faite émerger les implications politiques de notre travail. Nous montrons que la philosophie du travail de Canguilhem et ses prolongements chez Yves Schwartz et Yves Clot, trouvent des appuis empiriques et une formulation théorique commune dans le modèle « Job strain model ». Sur la base des résultats de la recherche sur le stress et des acquis de la philosophie canguilhemienne, nous concluons sur la thèse suivante : les milieux de travail qui réduisent la latitude décisionnelle et le pouvoir d’agir des travailleurs compriment leurs exigences vitales et sont donc pathogènes.