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Dominique Carré et al., « Dévoilement, mise en scène et médiatisation. Nouvelles normes de sociabilité sur le Websocial ? », HAL-SHS : sciences de l'information, de la communication et des bibliothèques, ID : 10670/1.5sukmp
La communication proposée s'inscrit dans la continuité des travaux que nous menons depuis plusieurs années et se donne pour objet de réévaluer la nature et les modalités d'exercice du contrôle social à l'heure où se généralise au sein de la population l'usage des techniques numériques d'info-communication caractérisées par leur hyperconnectivité. Dans un premier temps nous avons montré que le fichage des individus et des populations, après avoir nourri ce contrôle social (CS) au point d'en apparaître comme le paradigme dominant, l'avait quelque peu figé. Et ce, du fait qu'une part importante de l'information recueillie sur les individus restait invisible et par conséquent échappait à cet " infocontrôle ". Il nous est apparu alors qu'il était urgent de considérer ce phénomène, tant les modalités d'acquisition et la nature de l'information nominative avaient changé et avaient modifié la manière d'intervenir sur l'individu. Ainsi un revirement de perspective s'imposait afin de mieux prendre en compte la question du contrôle social en ce début de 21e siècle (Carré, Panico, 2011-a). Puis dans un deuxième temps nous avons étudié de quelle manière l'on était passé du fichage a priori subi à l'affichage de soi, quant à lui fortement choisi - plus particulièrement par cette frange au moins de la société que l'on nomme les digital natives ou encore la " Génération Y " - afin de proposer quelques éléments pour une approche communicationnelle du contrôle social (Carré, Panico, 2012). Nous avons dans un troisième temps souhaité étudier la manière selon laquelle est vécu, entre stratégies d'anonymat et médiatisation de soi, ce sentiment nouveau de liberté qui amène les individus - certes dans des conditions précises, notamment à travers des collectifs parfois très éphémères - à se mettre en scène et s'afficher eux-mêmes (Carré, Panico, 2011-b). Cela nous a permis de sortir du dilemme qui voudrait, selon certains, qu'il n'y ait que deux lectures possibles de ce phénomène original : soit une émancipation sans précédent de l'individu ; soit un contrôle lui aussi sans précédent. Nous avons proposé une lecture différente qui échappe à ce dilemme et qui se fonde sur l'évolution à caractère anthropologique du rapport individu/société. Nous voudrions ici poursuivre notre réflexion et pour cela interroger à côté d'autres le développement en apparence impulsif, voire régressif, de comportements aux allures parfois débridées, certes, mais qui toutefois répondent à une injonction de visibilité qui, elle, tire sa légitimité d'être portée par les individus eux-mêmes. Précisons d'emblée que notre propos cible plus particulièrement les jeunes générations (les digital natives, ou " Génération Y ", quoique Proulx (2011) qui travaille sur ces questions semble indiquer que cette catégorie aux contours un peu lâches reste à constituer). Ces " jeunes " deviendraient prescripteurs d'une nouvelle norme communicationnelle, norme qui touche à la construction identitaire, à la relation à l'autorité, au statut de l'intime et à l'image de soi, et qui s'exprime à travers une communication visuelle dense qui signe l'omniprésence de ces " individus-collectifs " dans l'espace public. R. Senett (1979) ne disait-il pas il y a 30 ans que l'espace public n'est plus le lieu de réalisation de son être social, mais de sa personnalité " ? Cela pourrait sembler prémonitoire et aujourd'hui pleinement établi... sauf à se dire que l'individu-collectif auquel on a à faire ici est davantage doté d'une " personnalité de base "[1], et d'une conscience communautaire plutôt que sociale. Dans ce contexte non individualiste on peut comprendre qu'augmente du coup sa puissance d'agir... Ainsi, selon-nous, les pratiques communicationnelles observables - souvent très visuelles : mise en ligne, partage de photos, vidéos, clips...- qui se développent sur le Web et qui marquent le déplacement du rapport anonyme individu/société au profit du collectif, et de son corollaire le dévoilement, sont-elles le signe d'une éthique nouvelle du lien (que, par abus de langage, nous dirons social) davantage fondée sur un pragmatique " agir avec... " que sur un " vivre ensemble " qui lui, semble de plus en plus théorique. A travers la question du " souci de soi " formulée par Foucault (1984) dans l'ouvrage éponyme, nous souhaiterions nous pencher sur le sens à donner à ces pratiques de dévoilement, de mise en scène de soi, qui se déploient sur le Websocial[2] et qui touchent selon l'auteur à la vérité du sujet, conscients que ces pratiques s'inscrivent pour une part encore dans le prolongement du modèle médiatique dominant, i.e. télévisuel tout en le dépassant. Pratiques qui tendent néanmoins aujourd'hui à s'instituer de plus en plus en normes d'action communicationnelle. C'est donc ce que nous ferons dans la première partie de cette communication où, nous référant à Foucault, nous tenterons de questionner la notion d'" individu " en lui opposant la figure du " sujet " plus apte selon nous à expliquer la manière selon laquelle les pratiques de dévoilement, de mise en visibilité sur " la part de l'Internet que constitue le Websocial ", se déploient et s'ordonnent pour faire sens. Dans une deuxième partie nous verrons comment à partir de pratiques innovantes du lien qui toutes s'inscrivent dans une éthique du dévoilement, on pourrait en venir à une nouvelle sociabilité, c'est-à-dire entre autre à une recomposition, à une redéfinition et à un usage rénové des formes de visibilité traditionnelles en comparaison fortement organisées (comme par exemple, les institutions, les associations, les syndicats, etc.), ainsi qu'à de nouvelles modalités d'exercice des pouvoirs Nous questionnerons enfin le changement que laisse augurer le développement du Websocial, nous demandant en quoi le rapport médiatique/communicationnel qui le sous-tend, et l'éthique qui l'anime, font qu'il est ou pas dépositaire d'un modèle sociétal original, modèle de valeurs où l'individu tendrait à céder la place au collectif - un peu dans l'esprit et la manière des hackers du collectif des Anonymous - et où de manière corollaire se redéploieraient les normes de sociabilité en usage.[1] Au sens de l'anthropologie de Linton[2] Nous utiliserons le néologisme de Websocial (tout attaché) pour désigner une certaine instance de l'Internet qui, de par sa simplicité d'utilisation, son accès peu discriminant d'un point de vue économique, son appétence pour le communautaire et le contributif, viendrait mettre au cœur du dispositif sociotechnique un " individu acteur " émancipé de ses traditionnelles tutelles et simultanément produirait des sociabilités inédites.