2023
Cairn
Jean-Manuel Larralde, « La prison n’est pas un outil de contrôle démocratique », Civitas Europa, ID : 10670/1.5x7b8f
Protectrice de l’ensemble des droits et libertés contenus dans la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 et ses Protocoles additionnels, la Cour européenne des droits de l’homme est également la gardienne des valeurs du Conseil de l’Europe, qui sont celles d’une « démocratie véritable » (pour reprendre les mots employés dans le Préambule du statut de cette organisation, signé à Rome le 5 mai 1949). Cette mission s’incarne dans des domaines jurisprudentiels extrêmement variés, dont font partie la surveillance des droits de toutes les personnes privées de liberté et plus globalement encore la garantie du droit à la sûreté (protégé par l’article 5 de la Convention qui précise de manière limitative et exhaustive les hypothèses permettant de recourir à des mesures privatives de liberté). Le travail prétorien cherchant à renforcer de manière effective le respect de la dignité en prison est, en effet, complété par un autre combat, peut-être moins connu et commenté, qui vise à inciter les États à n’avoir recours à l’enfermement carcéral que dans des hypothèses limitées. L’idée défendue par les juges strasbourgeois (qui ont été précédés en la matière par les travaux du Comité des ministres du Conseil de l’Europe dès 1965) est d’inciter les quarante-six États membres de cette organisation à n’avoir recours à l’enfermement carcéral que pour des situations aussi restreintes que possible, et ceci tant avant le jugement que dans le cadre d’une peine prononcée par une juridiction pénale. Comme le dit clairement l’arrêt Witold Litwa c/ Pologne rendu par la Cour de Strasbourg le 4 avril 2000, la prison est « une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention » (n° 26629/9, § 78). Il s’agit donc bien d’une volonté de « cantonnement » de la prison aux situations les plus graves qui est soutenue par les juges strasbourgeois. Cette ligne jurisprudentielle s’adresse bien évidemment à tous les États européens, mais elle vise plus particulièrement certains d’entre eux, parfois peu respectueux des droits fondamentaux et des principes essentiels de la démocratie pluraliste, voire même relevant de la catégorie problématique des « démocraties illibérales ». La vigilance de la Cour de Strasbourg s’est renforcée depuis quelques années concernant toute utilisation détournée de la prison à l’égard de tous ceux qui portent le message politique et contribuent par leurs actes, prises de positions, et paroles, au « débat d’intérêt général » si cher à cette juridiction. La Cour exige donc aujourd’hui des juges répressifs qu’ils mettent en avant des « raisons plausibles » pour justifier le placement des opposants politiques (entendus au sens large) en détention avant jugement, ce qui ne peut constituer qu’une mesure exceptionnelle. Par ailleurs, le prononcé d’une peine privative de liberté à leur encontre ne peut en aucun cas présenter le caractère d’une arme de répression politique et de contrôle social.