"Alors, tu nous le présentes quand ?" Vivre célibataire, entre norme conjugale et expérience personnelle

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1 septembre 2018

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Géraldine Vivier et al., « "Alors, tu nous le présentes quand ?" Vivre célibataire, entre norme conjugale et expérience personnelle », Archined : l'archive ouverte de l'INED, ID : 10670/1.5y48ca


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A la différence des précédentes enquêtes de l’Ined dédiées à la mise en couple ("le choix du conjoint", A. Girard, 1959 ; "la formation des couples", M. Bozon, F. Héran, 1983), l’Etude des Parcours Individuels et Conjugaux (Epic, W. Rault, A. Régnier-Loilier, 2013) a privilégié une approche dynamique des trajectoires conjugales et amoureuses et enquêté 7 825 femmes et hommes âgés de 26 à 65 ans, quelle que soit leur situation conjugale du moment. Ce faisant, l’enquête intègre des personnes qui n'étaient pas en couple ou engagés dans une « relation amoureuse importante » pour elles au moment de l'enquête. Cela représente 21% des répondants et recouvre des profils et des situations très différents tant en termes d’âges ou de catégories sociales que de parcours conjugaux antérieurs ou d’aspirations à venir. De façon complémentaire, une post-enquête qualitative a été conduite auprès d’une quarantaine de ces personnes vivant célibataires au moment de leur participation à Epic. S’agissant d’approfondir les expériences et vécus de la vie hors couple contemporaine, le corpus s’est attaché à couvrir une large palette de situations de célibat (hommes, femmes, ayant été en couple ou non aupravant, parents ou non, de catégories sociales et d’âges variés). Les analyses exploratoires présentées ici s’articulent autour de deux questions. La première interroge les façons de vivre et de restituer sa vie célibataire dans le double contexte d’une augmentation du nombre de personnes vivant hors couple – durablement ou temporairement – et d’une norme ou d’un idéal conjugal demeurant très prégnant. La seconde explore l’idée d’un dépassement des rôles assignés de sexe, induit ou consolidé par l’expérience de la vie célibataire et amenant à redéfinir les aspirations et/ou les fonctionnements conjugaux envisagés. Dans les deux cas, l’analyse invite à prêter une attention particulière aux cadres normatifs et discursifs dans lesquels l’investigation – qualitative comme quantitative – des périodes de vie hors couple est (co)produite et aux enjeux d’assignation et/ou de présentation de soi qui s’y jouent. Vivre célibataire est généralement présenté par les enquêtés comme une situation désormais banale – qui ne pose plus problème – parce que courante ; pour autant, la vie de couple n’en est pas moins identifiée comme le modèle qui reste souhaitable et valorisé dans la société, que l’on y aspire soi-même ou pas. Et de fait, toutes les personnes interviewées ou presque sont ou ont été, à un moment ou à un autre, incitées à se mettre ou à se remettre en couple. A 30 ans ou à 50, homme ou femme, célibataire, divorcé ou veuf, parent ou sans enfant, cadre ou ouvrier, tous ont fait l’objet de « petites questions », de remarques, d’encouragements ou d’interventions de leur entourage – famille, amis, collègues – leur rappelant que la vie de couple constitue la norme de la vie adulte et que le célibat n’a pas vocation à durer. L’examen de ces incitations, de leur forme, de leur contenu, de leurs acteurs, de leur réception montre à la fois comment s’exerce la norme conjugale sur les hommes et sur les femmes, et comment la vie célibataire est implicitement dépréciée et découragée. Ce que montre l’analyse de ces entretiens, c’est que la diversification des parcours conjugaux et des formes de conjugalités (mariage, Pacs, union libre, couple non cohabitant) s’accompagne d’une norme de vie à deux si ce n’est renforcée, du moins réitérée : quelle que soit la façon, mieux vaudrait être en couple. Si les expressions péjoratives de « vieux garçon », « vieille fille » ne sont plus d’usage – comme le soulignent certains enquêtés – et que la société change, des stéréotypes associés au célibat entachent toujours la vie hors couple, notamment lorsqu’elle se prolonge. De la pitié (« les pauvres ») à la suspicion (d’un « défaut », d’un « vice caché », d’une « tare »), les termes employés souligne la stigmatisation véhiculée et/ou ressentie. Et ce qui paraît en jeu, c’est la capacité personnelle de chacun à faire couple, dans une optique performative. Parce que la vie célibataire – associée à la solitude, à l’isolement et à un certain échec social – n’est guère conçue comme une situation possiblement heureuse et désirable, l’aspiration à la vie à deux paraît tenue pour évidente et peu questionnée par l’entourage. Ainsi, alors que 80% des répondants à Epic considèrent que l’on peut « réussir sa vie sans être en couple », une autre question semble être de savoir si l’on peut « être heureux hors couple » et si la vie célibataire peut véritablement être un choix. Lorsque la vie célibataire est objet d’envie autour de soi – ce qui est beaucoup plus rare dans le corpus – c’est parce que l’image que l’on donne à voir brouille précisément celle stéréotypée du célibat. Entre injonction au couple et injonction à l’épanouissement personnel, tout se passe comme si la vie célibataire supposait tout particulièrement de paraître résolument « heureux » et de déconstruire la figure tenace – bien que contestée dans les magazines et dans certaines recherches récentes – d’un célibat nécessairement triste et subi. Pour autant, les expériences et les appréciations de la vie célibataire qui émanent des entretiens ne sont ni enchantées, ni désenchantées. Ce qui les caractérise plutôt, c’est qu’en raison de la liberté et de la solitude imbriquées qu’elle induit, la vie célibataire permet et oblige tout à la fois à « prendre les décisions tout seul », à « se débrouiller tout seul », à « tout assumer », à « faire », à « se mettre à… ». Elle invite ainsi à dépasser la division des tâches entre les sexes et à déranger les rôles assignés à chacun, tels qu’ils ont été appris, expérimentés dans une précédente relation, observés autour de soi et surtout, tels qu’on se les représente. Lorsque la vie célibataire est restituée comme une expérience personnelle féconde, c’est plus souvent par des femmes mais pas exclusivement. Il s’agit alors de se (re)construire, de se (re)centrer sur ses goûts personnels ou de les découvrir, d’identifier ses priorités, d’apprendre – à se connaître notamment, de gagner en autonomie. Quels que soient les registres dans lesquels elles s’inscrivent, les expériences citées et valorisées par les enquêtés pour illustrer les apprentissages, les défis ou les dépassements de soi, requis ou occasionnés par leur vie célibataire, semblent souvent relever d’un dépassement des rôles assignés ou prêtés à chaque sexe ; ils témoignent d’une capacité à dévier d’une « trajectoire genrée » en quelque sorte, capacité qui n’aurait pas nécessairement été découverte ou vérifiée autrement : s’affirmer en « papa heureux » après avoir gagné la garde et élevé seul ses 3 enfants (homme, 62 ans, divorcé, ex-employé), « assumer seule » financièrement son loyer et les besoins de son enfant (femme, 32 ans, divorcée, employée), décider de l’argent et de l’éducation enfants « sans comptes à rendre », « tout contrôler » (femme, 42 ans, divorcée, ouvrière), « se découvrir une passion » pour l’aménagement de « son cocon » (homme, 28 ans, célibataire, PI), faire « l’expérience » d’une relation sexuelle sans sentiment amoureux ni visée de durée (femme, 35 ans, célibataire, PI), « apprendre » à poser le carrelage de sa maison, à casser un mur ou à changer un pneu (femme, 30 ans, célibataire, PI). Sans doute, la possibilité d’expérimenter ces autres rôles, respectivement associés à « l’autre genre » dépend-t-elle en partie des possibles, appris et envisageables. Pour autant, la vie célibataire conduit à certains dépassements des horizons possibles. Elle affecte les aspirations à la vie de couple et reformule les fonctionnements conjugaux envisageables : qu’il s’agisse de (re)vivre en couple sans se départir de l’autonomie acquise, de préférer une relation de couple non cohabitant ou pas de relation de couple du tout.

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