11 août 2022
Frédéric Fruteau de Laclos, « Le mauvais pli des deleuziens », HAL-SHS : histoire, philosophie et sociologie des sciences et des techniques, ID : 10670/1.6bpyag
Du point de vue du système de Leibniz, il existe deux façons d’entendre la question de la coexistence des consciences. Soit, selon un sens qu’approfondissent les premiers lecteurs de Husserl, la communication des substances est réelle en Dieu, en dépit des différences phénoménalement constatées, des séparations actuelles entre Ego ou monades. Il n’y a certes pas de communication réelle actuellement, mais cela n’empêche pas que tout communique harmonieusement en Dieu, tout ayant été machiné ou calculé par Lui. Soit, au contraire, on s’installe dans les phénomènes, et l’on constate que les monades n’ont ni portes ni fenêtres par où communiquer. Gilles Deleuze et ses lecteurs ont mis cette conception en avant, en s’attachant aux monades comme à des entités qui sont déjà constituées et qui ne communiquent pas actuellement : chacune exprime le monde à sa manière, selon sa perspective, chacune déploie dans son coin tout un monde. Le glissement est assez net chez Deleuze, d’un monde commun exprimé toujours différemment, d’une multiplicité de points de vue pris sur un seul et même monde, à la singularité de perspectives toutes diverses les unes des autres. La question n’est plus alors de savoir si le monde peut être appréhendé depuis diverses perspectives, mais d’affirmer que chaque perspective est à elle seule un monde.