1 janvier 2021
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Eliza Culea-Hong, « ‘On vit dans une utopie; ce n’est juste pas la nôtre.’ De More à Miéville: Activisme, spatialité et métamorphose du registre utopique », HAL-SHS : architecture, ID : 10.52497/kairos.533
Depuis les années 1960, il est plus courant de critiquer que de faire les louanges de l’approche utopique. « Aujourd’hui le mot “utopie” ne sonne pas bien », dit le modérateur Horst Krüger en 1964 en ouvrant un débat entre Ernst Bloch et Theodor Adorno. Vingt ans plus tard, l’historien d’art Robert Hughes va même plus loin en affirmant que le xxe siècle abonde d’utopies qui « furent dessinées, conçues, débattues et parfois même construites, et [que] ce processus nous a montré que les villes idéales ne fonctionnent pas. […] À l’instar des plantes, nous avons besoin de la merde des autres comme nutriment ». Cependant, après des décennies de rejet, le registre semble renaître sous la plume de certains écrivains comme China Miéville – quoique sous une forme métamorphosée nommée « fantaisie radicale ». Ce genre est considéré par certains comme le descendant direct de l’utopie, ayant comme point focal la posture du militant en quête d’une justice sociale progressiste et de l’égalité économique, mais considérant le futur comme un sujet indéterminé et imprévisible. Cet article profite de cette renaissance apparente afin d’essayer de comprendre l’obsession séculaire que nous avons pour ce registre. Nous explorerons quelques pistes dans la neurobiologie tracées par Michael Gazzaniga, puis certains travaux de sociologie des mouvements sociaux conduits par Francesca Polletta, afin d’esquisser une relation entre la narration, la constitution et la mobilisation des acteurs collectifs. La théorie critique de la science-fiction formulée par l’académicien croato-canadien Darko Suvin, nous permettra d’expliciter le mécanisme du registre utopique, et de révéler comment ce dispositif rhétorique arrive parfois à persuader le lecteur qu’une image est ou devrait être vraie. Ce travail théorique sera mis en relation avec deux exemples iconiques d’utopies du début du xxe siècle, d’un côté le manifeste d’architecture futuriste – né en 1914 du mélange des lignes d’Antonio Sant’Elia et des mots de F. T. Marinetti – et de l’autre, les éloges à l’architecture de verre de l’écrivain expressionniste Paul Scheerbart et de l’architecte Bruno Taut. En mettant en parallèle ces ouvrages et projets historiques avec le roman récent The City & The City (2009) de l’écrivain anglais China Miéville – exemple fort de fantaisie radicale – nous allons observer les continuités et discontinuités que cette métamorphose contemporaine a engendrées sur ce registre historique.