2017
Cairn
Andrea-Luz Gutierrez-Choquevilca, « Un art de la maîtrise amérindien : pour une approche relationnelle du poison », Cahiers d'anthropologie sociale, ID : 10670/1.6wpr64
Un taxon unique désigne en quechua l’art de la guérison et celui qui consiste à administrer un poison, la racine verbale ampi-. Tribut de cette ambivalence, l’effet toxique ou l’action létale de certaines substances issues de la pharmacopée indigène des peuples Runa des Basses Terres péruviennes se voient attribuer une valeur positive, volontairement recherchée dans les activités afférentes à la chasse et auto-infligée dans un contexte initiatique. En nous interrogeant sur la nature, la classification et les usages contextuels des substances toxiques, il est possible de mettre en évidence un gradient de pratiques variant selon les dispositifs relationnels instaurés entre humains et non-humains. De la mort symbolique à la mise à mort intentionnelle et effective, l’efficacité accordée au pharmakôn amérindien interroge les modalités d’action sur le vivant, mêlant inextricablement efficacité biologique et agentivité culturelle. Si la mort biologique des humains est le plus souvent imputée à la sorcellerie, certaines substances sélectionnées pour leurs qualités chimiques ou leur action sur l’organisme vivant viennent prendre place parmi les espèces « à maîtres », susceptibles de faire l’objet d’une maîtrise amuyana, souvent fragile et équivoque, liant des acteurs humains et non humains. Guérison et agression constituent ainsi la face et l’envers d’une même relation, fondamentalement asymétrique et réversible. L’article examine à partir de matériaux linguistiques et ethnobotaniques la valeur de cette relation en interrogeant la possibilité et les limites d’une perspective épistémologique située au-delà du « grand partage » entre sciences de la nature et sciences humaines.