2024
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Emmanuel Bellanger, « Au-delà du « petit Paris », la longue histoire de la « banlieue municipale » -XIXe -XXe siècles », HAL SHS (Sciences de l’Homme et de la Société), ID : 10670/1.710523...
Selon Le Corbusier, « l'urbanisme [a] pour mission de mettre une civilisation "dans ses meubles" » ; non pas de façon désordonnée, mais dans « le respect du passé [selon une] attitude filiale, naturelle à tout créateur» . Concevoir de l'urbain ouvragé, c'est en quelque sorte s'approprier l'histoire d'un lieu, maîtriser ses lignes de fractures pour mieux les tempérer, les panser. Dans le département de la Seine, territoire originel et historique du Grand Paris, la vie sociale est fractionnée et ségrégée. Depuis le Second empire et le décollage industriel, sa banlieue a ses villes pauvres et ses villes riches ; elle s'est couverte de villes populaires, de « villes d'esprit essentiellement bourgeois », de villes au profil sociologique plus hétérogène. Dans les années 1920 et 1930, l'urbanisation, présentée comme tentaculaire et anarchique, par l'incontournable praticien et théoricien municipal de l'entre-deuxguerres, Henri Sellier, n'a pas étendu uniformément son emprise sur les 80 communes de la Seine banlieue . En 1935, le département de la Seine était urbanisé aux deux tiers mais sur ses 47 381 hectares, 14 995 restaient « libres » et se situaient principalement dans les communes suburbaines. La Seine banlieue rurale, ses terres agricoles, ses forêts domaniales offraient ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un formidable levier de densification de l'agglomération parisienne. Quinze ans plus tard, en 1950, le département de la Seine ne comptait plus que 4 300 hectares cultivés incluant les jardins familiaux. Sous l'effet de l'accroissement démographique, l'urbanisation devient un fait de civilisation dans des banlieues dont les acteurs -maires, conseillers généraux, parlementaires, secrétaires généraux de mairie…se saisissent de différentes échelles d'interventions publiques tantôt communale, tantôt intercommunale, tantôt métropolitaine pour défendre leur territoire et légitimer leur action. C'est dans ce territoire capitale que se forge, des années 1880 aux années 1930, un puissant patriotisme de clocher, identifié à un système mutualisé d'administration et de gouvernance des municipalités suburbaines du Grand Paris : la « banlieue municipale » . Cette contribution met en perspective son histoire en soulignant les traits singuliers de cette métropole et de ses villes de banlieues qui ont été les laboratoires de politiques publiques innovantes et le lieu d’affermissement des identités communales. Ce patriotisme municipal ne peut être simplement caricaturé sous les traits d’un esprit de clocher étroit et querelleux.