13 décembre 2024
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Augustin Guillot, « La valeur de la littérature : une histoire du marché de la production littéraire à l'époque romantique (France début XIXe siècle-années 1830) », Theses.fr, ID : 10670/1.756d1d...
Dans le premier tiers du XIXe siècle, l'affirmation en France d'une littérature nouvelle (instantanément qualifiée par les contemporains de « romantique ») est concomitante d’une transition éditoriale entre ancien régime typographique et nouveau mode de production à forte intensité capitalistique. Cette crise de modernisation est liée à l’importante croissance, depuis la Révolution, du nombre d’imprimeurs et de libraires dans un contexte de relative stagnation de la demande de livres. C’est pourquoi ce travail de thèse se propose d’appréhender le moment romantique de la littérature française non simplement comme le résultat de la crise politique et sociale post-révolutionnaire mais aussi comme le fruit du bouleversement économique à l'œuvre dans le monde de l'imprimé. Cette volonté d’analyser les évolutions littéraires en relation avec les mutations socio-économiques d’un secteur – la librairie – préside au choix d’une périodisation qui débute autour de 1810 pour s’achever à la fin des années 1830. Cette trentaine d’années se caractérise en effet par sa relative unité culturelle, sociale, économique et se clôt au moment de l’essor du roman-feuilleton, lequel fait entrer la production littéraire dans une nouvelle ère, celle de la « littérature industrielle » (Sainte-Beuve). Au croisement de l'histoire du livre et de la sociologie du monde littéraire, l’un des principaux enjeux de la thèse est de mieux comprendre le rôle des dynamiques de marché dans l’effacement progressif de l’idéal des Belles-Lettres d’Ancien régime (qui prévaut encore dans bien des esprits lettrés des années 1810) au profit de la conception « moderne » – et foncièrement imaginative – de la littérature. Il s’agit donc aussi d’apporter une contribution à la compréhension du phénomène romantique en France. En effet, le terme de « romantisme » oscille souvent entre une conception très restrictive, et donc partiellement anachronique, qui désigne par « romantisme » un mouvement littéraire – alors même que l'absence d'unité politique, esthétique et générique des « romantiques » rend inopérante une telle acception du terme – et une définition très extensive qui désigne par « romantisme », bien au-delà de la seule sphère littéraire, l’esprit d’une époque. Or, ce travail propose de comprendre le romantisme en France dans les années 1810-1830 comme une tentative de subversion des institutions littéraires (les académies, les théâtres, la langue) par le recours au marché. Face aux diverses tentatives de rénovation des lettres françaises qui apparaissent dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, le romantisme des années 1810-1830 est l'ultime péripétie d'une lutte de subversion de la littérature conçue comme institution d'État, lutte qui trouve au cours du premier tiers du XIXe siècle les moyens de s'imposer grâce au renforcement des logiques médiatiques et marchandes. Ce n'est qu'ensuite que viendra véritablement l'âge des mouvements littéraires, indissociable de l'ère des avant-gardes, de ces groupes dont la tâche est précisément contraire à celle des cénacles romantiques – non plus émanciper l'art de la loi de l'État en prônant « le libéralisme en littérature » (V. Hugo), mais, au sein de la culture de masse, ériger le manifeste artistique en loi excluante, fondatrice et protectrice de véritables écoles littéraires.